Où je pense (II)
Pour mieux dire au lecteur sa façon de penser,
l’auteur a ajouté quelques citations en regard de ses aphorismes.
PENSÉES ÉPARSES
Accident
Il s’est heurté à un refus
de priorité.
Animal de compagnie
Depuis qu’il avait recueilli
un ver solitaire,
il se sentait moins seul.
L’apothicaire qui compte
Ma pharmacienne, madame Placebo,
a la plus belle vitrine, le plus beau magasin ;
elle sert les meilleurs médicaments de la ville…
Et comme ses médicaments,
je dois avouer
qu’elle me fait de l’effet.
Astrologie
Je suis cancer,
ascendant prostate.
Biopsie
Pour connaître votre avenir,
vous avez le choix
entre la voyante qui regarde
dans sa boule de cristal,
et le biologiste qui observe
dans son microscope.
Brève et improbable rencontre
La midinette à l’anachorète :
« Il y a quelqu’un
dans votre vie ? »
Chemin de plomb
Polis, érodés
par le train quotidien,
périmés comme
une vieille carte orange :
ce sont les usagés du R. E. R.
Courte échelle
Les fonctionnaires
au plus bas de l’échelle
menacent de porter plainte
pour mauvais traitement.
Cuisine et indépendance
Si le général de Gaulle
ne s’était pas opposé vigoureusement, à la Libération,
au projet de protectorat américain (AMGOT)*,
il y aurait, au pays des grands vins et de la bonne chère,
des McDonald’s
à tous les carrefours.
* « Dès 1941-1942, Washington avait prévu d’imposer à la France – comme aux futurs vaincus, Italie, Allemagne et Japon – un statut de protectorat, régi par un Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot). Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés aurait aboli toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les accords Darlan-Clark de novembre 1942. » (A. Lacroix-Riz, Le Monde diplomatique, mai 2003)
Droits de l’homme et du nourrisson
À peine expulsé par sa logeuse,
le nouveau-né contestataire
a alerté
le Droit au logement (DAL).
Écrans larges
À l’heure de la TNT et du satellite,
avec la multiplication des chaînes
et la participation croissante des téléspectateurs,
il y aura bientôt plus de monde
sur le petit écran
que devant.
En
Haut lieu
La montagne,
son Éminence,
avec son grand air,
qui se pousse du col,
ce qu’elle peut poser !
Généralités
Au classement général,
c’est de Gaulle
qui arrive largement en tête.
Grosses coupures
Une foule en liasses se pressait
à l’entrée de la garden-party.
L’habit fait le moine
Son costume de location
lui donnait un air emprunté.
Hiérarchie vestimentaire
Comme son nom
ne l’indique pas,
le sous-vêtement
n’est pas un subalterne :
un effet secondaire.
Il fait partie du beau linge,
du dessus du panier ;
tandis que le survêtement
(le survêt, pour les intimes)
ferait plutôt mauvais effet.
Interception en vol
Le plus haut fait d’armes de la PAF
(Police de l’air et des frontières),
la police que le monde entier nous envie :
elle a repoussé, le 29 avril 1986,
un important nuage communiste et radioactif
en provenance de Tchernobyl.
La loi des séries
À force de me gaver
de séries américaines,
j’ai acquis la conviction
que tous les Yankees
se prénomment « Agent ».
Mauvaise parolière
Ce qu’il y a d’exaspérant
avec la colère,
c’est qu’on en maîtrise
bien la musique,
mal les paroles.
Mérite militaire
Tout revers
a sa médaille.
Mille regretz
Si on m’avait dit
que ça vous ouvrait grand
les portes des chambres
à coucher :
j’aurais fait président.
Mode
Je ne suis pas la mode :
je l’attends.
Nouvelle franchise médicale
« Cancer généralisé :
je ne vous donne pas
plus de deux mois
à vivre ! »
Paix à nos cendres
Le célèbre Soldat inconnu :
ce pioupiou mort sous X,
qui repose en paix
sous l’Arc de triomphe
– en plein courant d’air –,
et dont on s’obstine
pourtant
à ranimer la flamme.
Permissivité
Quarante et une semaines
sans règles
jusqu’à l’accouchement !
Étonnez-vous, après cela,
que ça fasse des enfants
capricieux !
Pierre qui coule
Malheureux comme une pierre
qui se jette à l’eau
avec un homme
au bout d’une corde.
Police scientifique
Le médecin de famille
avait hâtivement conclu à une mort naturelle ;
mais une expertise médicolégale des plus minutieuses
a permis de repérer
– bien enfoui entre deux globes de chair rebondie –
un minuscule orifice pouvant correspondre
à un trou de balle.
Rupture de stock
Je suis commandeur
de la légion d’honneur !
Mais je ne l’ai pas encore reçue.
Suffisance
Une demeure prétentieuse,
tapageuse :
plus un ça n’vous suffit pas ?
qu’un ça m’suffit !
Télégénies
Grâce à l’ultra haute définition :
une image proche de la perfection,
mais toujours autant
de parasites sur l’écran.
Une bonne et une mauvaise nouvelle
On a vu des inhumés se réveiller en pleine mort…
C’est alors, que l’on regrette
vivement
de n’avoir pas pensé à emporter
l’ouvre-boîte.
Vents contraires
Non,
un vent de panique
n’est pas un pet foireux !
Verres de contact
Commencée autour d’un verre,
la soirée s’est achevée
au fond du verre.
Zygomatiques
Autrefois, pour se dérider,
on allait voir les clowns.
Aujourd’hui, on consulte
un chirurgien esthétique.
DIALOGUES – RÉPLIQUES
DIALOGUES – RÉPLIQUES
– N’allez pas croire…
– Je ne bouge pas d’ici !
– Je n’ai pas l’habitude de mentir !
– En effet : vous mentez mal.
– Vous êtes volontiers ironique !
– Ni l’un, ni l’autre.
– Vous êtes très convaincant !
– J’ai du mal à le croire…
– « Huis clos »,
comment ça s’écrit ?
– Comme ça se prononce.
– Pour aller
à l’Arc de triomphe ?
– Suivez le sens inverse
des flèches.
– Monsieur Jack l’Éventreur,
s’il vous plaît ?
– Deuxième étage, à gauche.
Vous verrez, mademoiselle,
c’est écrit sur la porte :
« Frappez,
et l’on vous ouvrira ».
– Je vois, que nous avons affaire
à un multirécidiviste de la cambriole.
– En effet monsieur le juge :
j’ai quelques heures de vol.
– Qui a inventé le braille ?
– Je ne vois pas.
Bruit de forme
– Vous pourriez répéter ce que je viens de dire ?
– Excusez-moi : je n’ai pas entendu.
– Parce que vous n’écoutiez pas ?!
– Parce que vous parliez !
– Monte-Cristo,
c’est quoi cette histoire,
Dumas ?
– Un règlement de comte.
Maréchal, vous voilà ?
– Mon cher Philippe,
passez donc à Londres
me faire un petit coucou !
– Je ne peux pas, Charles :
je suis occupé.
– Je viens pour la place de vendeur.
– Trop tard :
elle est vendue !
Présentations
– Voilà :
je suis marié,
père de trois enfants,
chef de projet évènementiel,
conseiller municipal,
délégué de parents d’élèves,
classé 15/2,
responsable associatif,
aquarelliste du dimanche,
pique-niqueur en herbe,
danseur de claquettes,
exhibitionniste amateur,
plombier volontaire,
sadique bénévole
et horloge parlante
à mes heures…
Et vous ?
– Moi, je suis barbu.
– Il en faut !
– Il est flûtiste dans un orchestre.
– Premier flûtiste ?
– Non, un sous-fifre.
Rien ne sert de mourir ?
– Encore en retard, Lelièvre ?
– Hélas, Monsieur le Directeur !
– Quelle excuse allez-vous inventer cette fois ?
– J’ai perdu ma mère, Monsieur le Directeur.
– Oh ! Pardonnez-moi, Lelièvre ! …
Je ne savais pas. Je suis confus. Sincères condoléances.
Nous allons faire livrer des fleurs.
– Délicate attention, Monsieur le Directeur,
mais c’est un peu tard !
Maman, cela fait maintenant une bonne dizaine d’années
qu’on l’a inhumée.
Traitement d’attaque
Madame, votre mari a fait un malaise cardiaque,
mais soyez rassurée :
il est toujours d’attaque !
– Depuis la mort de son mari,
elle est méconnaissable…
– Lui aussi.
Scoot toujours
– Ne pleurez pas, Valérie,
ce n’était pas
un si beau parti !
Adieu ma concubine
– Bon, je te quitte !
On s’appelle plus tard !
– Comme tu veux, mais moi,
je continue de t’appeler François.
Amuse-gueule
– Une petite décollation, Madame la Marquise ?
– Non merci, citoyen Robespierre, sans façon,
tout va très bien.
– Allons ! juste une petite coupe ?…
Le fer de l’amitié ?
– La rue Mendès France,
s’il vous plaît ?
– Dernière à gauche,
juste après
les rues Jean Jaurès et Léon Blum.
Précautions d’usage
– Je voulais vous dire…
surtout, ne le prenez pas mal :
je vous aime.
Les visiteuses du soir
Mesdames, vous tombez bien :
j’allais faire l’amour !
Âme sœur
– Allo, l’agence matrimoniale ?
– Ne quittez pas : nous recherchons
votre correspondant…
Rechute
– Tu te souviens du malheureux Albert
qui avait fait une tentative de suicide ?
– Parfaitement : il s’était jeté du cinquième étage.
– Et bien… il a rechuté… du cinquantième étage.
– Et il est mort !?
– Mort et enterré.
Proche disparu
Comme il va nous manquer,
ce cher Abel
qui vient de nous quitter ! …
Mais où courez-vous ?
– À sa poursuite :
il ne doit pas être loin !
Il a pris quelle direction ?…
DICTIONNAIRE
DICTIONNAIRE
Américain (n. m.)
Les gens heureux
n’ont pas d’histoire.
Camping-car (n. m.)
Aspirateur à mamies.
C. G. T. (n. f.)
Ci-gisent les travailleurs.
Chiwawa (ou Chihuahua) (n. m.)
Animal de compagnie
qui sait se faire tout petit.
En le coupant délicatement,
on peut choisir entre
– le wawa, plus propre,
– le chi, plus silencieux.
Citroën André (n. p.)
Autodidacte.
Collant (n. m.)
Préservatif féminin.
Conservatoire (n. m.)
Institut musico-légal.
Contrevenant (n. m.)
Qui vient contre, tout contre.
Dans le métro,
aux heures de pointe,
on ne compte plus
les contrevenants.
Cycliste (n. m.)
Il a pignon sur route.
Cyrano de Bergerac (n. p.)
Héros de cap
et d’épée.
Écureuil (n. m.)
De grâce,
épargnez-le.
Franc-maçon (n. m.)
Digne des loges.
Free-lance (n.) (angl.)
Pompier bénévole.
Guillemets (n. m. plur.)
Inséparables
et toujours séparés.
Jogger (n. m.) (angl.)
Anglais courant.
Légiste (n. m.)
Torture les morts
pour les faire parler.
Mage (n. m.)
Gaspard, Balthazar
et Melchior
– le vieillard à cheveux blancs :
le troisième mage.
Maison de retraite (loc.)
Où l’on est nourri, logé,
blanchi.
Mondaine (la) (n. f.)
Brigade du stupre.
Navigation (n. f.)
De plaisance
ou de complaisance.
Né sous X (loc.)
Incident de tournage.
Obèse (adj. et n.)
Mal en chair.
Obséquieux (adj.)
Obséquieux
comme un croque-mort.
Oxyure (n. m.)
Triste ver nématode
qui croupit
dans le trou du cul du monde.
Paresse (n. f.)
…
Penseur (n. m.)
Il ne sait que penser.
Plate-forme (n. f.)
Voisine de palier.
Poil lourd (néolog.)
Chauffeur routier.
Poilu (n. m.)
Bête de Somme.
Prostituée (n. f.)
Personne à contacter
en cas de désir.
Psyché (n. f.)
Juge de courbes.
Saut à l’élastique (loc.)
Estrapade à la gomme.
Se manifester (v. pron.)
Défiler
pour manifester sa présence.
Transsexuel (n.)
La Possibilité d’un « elle ».
Unijambiste (n.)
A déjà un pied
dans la tombe.
Vague (n. f.)
Briseuse de grève.
Viagra (n. p.)
Médicament
pour l’hypertension.
Whisky (n. m.)
Mot emprunté à l’écossais
– ce qui n’est pas
un mince exploit.
§
Lettre anonyme.
LA GUERRE
LA GUERRE – LE FEU AUX POUDRES
Je déclare la guerre ouverte !
La guerre,
c’est quand la paix éclate.
Ça fait du bien quand ça commence !
LA GUERRE – LA GUERRE D’INDÉPENDANCE
Il y a des moments où l’on a
terriblement
envie
d’être
seul.
LA GUERRE – RECHERCHE DES CAUSES AYANT ENTRAÎNÉ LA GUERRE
« La guerre, le seul divertissement des rois… où les peuples aient leur part. » (H. Janson, Fanfan la Tulipe, Dialogue du film)
La guerre,
ce n’est qu’un jeu
– un simple divertissement de plein air –
qui a mal tourné.
« On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve On glissera le long de la ligne de feu Quelque part ça commence à n’être plus du jeu Les bonshommes là-bas attendent la relève » (L. Aragon, Le Roman Inachevé, La Guerre et ce qui s’ensuivit, Tu n’en reviendras pas, Gallimard)
La guerre :
pour réveiller la Mort,
quand elle aurait tendance
à s’endormir
sur ses charniers.
L’ordre des choses :
une longue paix
pour épargner les hommes,
une bonne guerre
pour les dissiper.
« Donc, pas d’erreur, ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n’était pas défendu ! Cela faisait partie des choses qu’on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C’était même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux… » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
La vie a besoin,
de temps en temps,
d’une bonne dévaluation.
LA GUERRE – CELLE DE 14-18
Août 1914 :
ouverture
d’une grande boucherie.
Les petits commerçants
sont dans la rue.
« Qui aurait pu prévoir avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes. À présent j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
En attendant la relève,
les soldats tombent,
tombent, tombent…
Ne se relèvent plus.
En ce temps-là,
sous le déluge,
un soldat,
ça ne faisait pas long feu.
« Le jour ! Un de plus ! Un de moins ! Il faudrait essayer de passer à travers celui-là encore comme à travers les autres, devenus espèces de cerceaux de plus en plus étroits, les jours, et tout remplis avec des trajectoires et des éclats de mitraille. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
Le Chemin des Dames :
la grande duperie,
le formidable traquenard !
Une seule Dame, en fait
– bien lasse
et guère engageante –,
pour deux cent mille hommes.
Fermeture pour inventaire
Novembre 1918 :
dernières bombes, derniers obus,
dernières salves,
dernières cartouches…
La guerre tire à sa fin.
« L’air est plein d’un terrible alcool Filtré des étoiles mi-closes Les obus pleurent dans leur vol La mort amoureuse des roses. » (G. Apollinaire, Poèmes à Lou, Roses guerrières)
LA GUERRE – GUEULES DE BOIS
Les Gueules cassées :
enfants maudits de la victoire
ou accidentés de la déroute.
Ah ! la vaisselle
des lendemains de guerre !
La guerre,
certains en réchappent,
mais personne n’en revient.
« Les soldats qui défilent sous les arcs de triomphe sont ceux qui ont déserté la mort. » (J. Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Gallimard)
En l’an de grâce 1918,
il n’aura guère rapporté,
l’impôt sur le revenu.
« Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu’un obus a coupé par le travers en deux… »
(L. Aragon, Le Roman Inachevé, La Guerre et ce qui s’ensuivit, Tu n’en reviendras pas, Gallimard)
LA GUERRE – SAINE OCCUPATION
De sa plus belle plume
de corbeau,
écrire de belles lettres
anonymes :
voilà une saine occupation !
« Les meilleures choses
ont une fin… »,
comme me le disait
si justement
un proche collaborateur,
en ce bel été 1944.
Nous vous saurons
toujours gré,
notre Général,
d’avoir résisté.
Résisté aux allemands,
voisins envahissants,
touristes au pas de l’oie.
Résisté aux alliés,
trop pressés
de renvoyer la France
à son occupation.
Une résistance à toute épreuve
Il fallait être résistant !…
Pour résister à l’occupant,
pour résister à la torture,
pour résister à la collaboration,
pour résister à la Libération.
« Une fiancée avec un enfant de sept ans ?… — La guerre ! — Tu m’avais dit qu’elle « résistait ». — La résistance a des limites. On ne peut pas être de jour et de nuit. » (M. Audiard, Poisson d’avril, D. Grey, P. Dux, Audiard par Audiard, Édit. René Chateau)
Terroriste (n. m.).
Ancien nom du résistant.
« Nous voulons vaincre pour être justes. » (G. Clemenceau, Déclaration ministérielle 1917)
À présent
que l’amitié franco-allemande
est devenue le pilier de la construction européenne,
que les dirigeants des deux prestigieuses nations
se prennent par la main et se disent des mots doux ;
il est grand temps de réhabiliter ces précurseurs
qui, dès 1940, dans une époque tourmentée,
ont jeté les bases de cette fructueuse et indéfectible
collaboration
entre la patrie de Molière et celle de Goethe.
LA GUERRE – L’ARMÉE
Hors de l’Église et de l’Armée,
point de salut.
Service non compris
Quoi ?
Servir la Patrie ?
Elle n’est donc pas assez grande
pour se servir toute seule ?
« On ne conçoit plus à mesure que la guerre s’allonge d’individus suffisamment dégoûtants pour dégoûter la Patrie. Elle s’est mise à accepter les sacrifices, d’où qu’ils viennent, toutes les viandes la Patrie… Elle est devenue infiniment indulgente dans le choix de ses martyrs, la Patrie. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
La guerre :
drame de la discipline.
« Ah ! nos petits soldats, remarquez-le, et dès les premières épreuves du feu ont su se libérer spontanément de tous les sophismes et concepts accessoires, et particulièrement des sophismes de la conservation. Ils sont allés d’instinct et d’emblée se fondre avec notre véritable raison d’être, notre Patrie. Pour accéder à cette vérité, non seulement l’intelligence est superflue, Bardamu, mais elle gêne. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
Ôtez les uniformes,
la guerre n’a plus de sens.
LA GUERRE – LA PEUR AU FUSIL
« Serais-je le seul lâche sur terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !… Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
Héros ou déserteur…
la mort est exemplaire.
Oser !
Oser braver
les consignes de bravoure !
« Y a que la bravoure au fond, qui est louche. Être brave avec son corps ? Demandez à l’asticot aussi d’être brave et pâle et mou, tout comme nous. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
Qui ignore la peur,
est-il un héros,
ou un ignorant ?
« Notre colonel, il faut dire qu’il manifestait une bravoure stupéfiante ! Il se promenait au beau milieu de la chaussée parmi les trajectoires aussi simplement que s’il avait attendu un ami sur le quai de la gare. (…) Le colonel, c’était donc un monstre ! À présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
LA GUERRE – LE PLEIN RÉGIME
Grâce à la mobilisation
de tous
– l’effort de guerre –,
la production industrielle,
la recherche, la croissance
font un formidable
bond en avant !
Et l’homme donne enfin
son plein rendement
– le meilleur de lui-même.
LA GUERRE – FRATERNISATION
Ils ont fait fusiller
un dangereux pacifiste
pour intelligence
avec l’ennemi.
La guerre
ne tolère pas l’intelligence.
LA GUERRE – BELLICISME
Un sale métier*
Pourquoi juger les « criminels de guerre » ?
Pourquoi pénaliser la guerre ?
Voici le temps des assassins.
Pourquoi condamner le pillage et le viol
– les deux mamelles de la guerre ?
Pourquoi dénoncer la torture :
les sévices toujours compris ?
Pourquoi cette épuration, ce grand nettoyage ?
Pour une guerre plus décente, plus propre, plus éclatante :
la guerre en gants blancs et tenue d’apparat ?
Où l’on est prié de prendre les patins
avant d’envahir ;
où l’on massacre sans entrain,
ravage avec modération,
extermine sans hostilité ? …
Une guerre acceptable
qu’on déplore mais ne refuse pas. **
Comme sur les quais du départ,
agitant leurs blancs mouchoirs,
les veuves de gare.
*« Je fais un sale métier, c’est vrai ; mais j’ai une excuse : je le fais salement. » (G. Darien, Le Voleur)
**« Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus, moi… Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
« Les mères, tantôt infirmières, tantôt martyres, ne quittaient plus leurs longs voiles sombres non plus que le petit diplôme que le Ministre leur faisait remettre à temps par l’employé de la mairie. En somme, les choses s’organisaient. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard)
LA GUERRE – NOUVELLE FORMULE
La guerre humanitaire
Pour remédier
à la pénurie d’ambulances
et optimiser
la prise en charge des blessés,
désormais,
on bombarde directement les hôpitaux.
Ce que les spécialistes appellent
« des frappes chirurgicales ».
LA GUERRE – DANS LE DÉSORDRE DES CHOSES
On s’écharpe, on se massacre,
on se trucide
allègrement.
Puis on fait la paix.
On efface tout…
et l’on recommence.
Nouvelle partie.
« Balles neuves ! »
La force tranquille
Si la guerre a si bien résisté à travers les siècles
aux plus redoutables épreuves ;
si elle a échappé à la vindicte non-violente,
repoussé l’hérésie fraternitaire,
survécu à la terreur pacifiste,
vaincu tous les peine-à-mourir,
les hommes de mauvaise volonté…
C’est qu’elle a l’invincible force :
la force de la Nécessité.
« La guerre est divine en elle-même, puisque c’est une loi du monde. » (J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg)
LA GUERRE – L’APRÈS-GUERRE
Quand la guerre, nulle part,
n’attirera plus les foules,
quand on ne fera plus
que des déclarations d’amour
ou d’impôts…
on verra les marchands de canons
se reconvertir dans la fabrication
d’armes de paix.
Venu trop tard au monde,
après les plus belles hécatombes,
je n’aurai pas eu
les honneurs de la guerre.
« Où sont-ils ces beaux militaires Soldats passés Où sont les guerres Où sont les guerre d’autrefois » (G. Apollinaire, Calligrammes, Étendards, C’est Lou qu’on la nommait)
Héros d’un monde sans guerre,
mortellement paisible,
le tueur en série :
la Winchester des assassins
– le criminel de paix.
Vivement la guerre !
qu’on vive un peu !
« Ah Dieu ! que la guerre est jolie Avec ses chants, ses longs loisirs » (G. Apollinaire, Calligrammes, Lueurs des tirs, L’Adieu du cavalier, Gallimard)