Moi, mes amours d’antan…

 

 

Une histoire d’amour à deux balles 

                                                                                                                                                              ou la bave du crapaud n’émeut pas la blanche colombe

 

Cet après-midi-là, jeune tennisman en herbe tendre (yes, « I was tennis »), avec un partenaire sans particularité

j’échangeais quelques balles (je gagnais au change, car mes balles étaient élimées et les siennes étaient neuves),

quand nous vîmes se poser sur le court voisin un couple de blanches colombes.

 

Portant délicieusement la tenue de rigueur (blanche jupe plissée et probité candide), elles se mirent bientôt à voleter sur le court,

courant après les balles comme on chasse les papillons.

Sous le charme, à bayer aux tourterelles, nous en perdions notre tennis, arrosant copieusement le court, et jusqu’au court voisin.

 

Moi qui n’étais indubitablement pas un coureur de jupettes, un adepte de la chasse à court, je me prenais à rêver d’un plaisir

partagé, d’un affriolant double mixte.

 

Exalté par les bondissantes grâces, je venais de monter hardiment au filet, raquette au clair, comme on monte à l’abordage,

quand l’une des jeunes filles me fit un signe.

 

Elle avait ramassé plusieurs balles qu’elle tenait dans ses bras croisés sur sa poitrine.

Je la retrouvai à la frontière entre nos deux courts.

 

Pour mon marché, elle étalait sa cueillette.

Il y avait là cinq balles jaunes, dont une bien pelée – la mienne certainement

– et deux autres balles, d’un plus gros calibre, bien rondes, éclatantes, de la couleur de son Lacoste.

 

Avec un grand sourire, franc comme un coup droit, elle me dit simplement : « Laquelle ? » …

 

Un crocodile, la gueule ouverte, défendait son sein gauche.

Je récupérai ma balle dégarnie, remerciai platement, et m’en retournai penaud.

Le crocodile est plus heureux que moi.

 

 

Abel Castel