SUR LA PLAGE, ABANDONNÉ

SCÉNARIO & DIALOGUES

LIEU

Vaste étendue de sable fin entre la mer et les dunes, agrémentée de quelques rochers.

DISTRIBUTION

Deux bipèdes, deux décapodes

– L’Homme (sans importance collective : tout juste un consommateur), moustachu, à l’allure d’un cinquième Frère Jacques.

– Un Passant qui se métamorphosera entre chaque passage (différents rôles).

– Un couple de Tourteaux, avec un beau mâle adultère (doublage ou sous-titrage en français).

OUVERTURE

Illustration musicale : Brahms : Vier ernste Gesänge (4 Chants sérieux) op.121, N°1 : « Denn es gehet dem Menschen wie dem Vieh. »  (De fait, il en est de la brute comme de l’homme.) Kathleen Ferrier (contralto) John Newmark (piano) (17 07 1950 Decca)

 

Plan large en plongée depuis la falaise sur l’immensité de la plage. Sur ce vaste espace qui semble désespérément vide, la caméra repère finalement une forme qui bouge.

Zoom avant pour faire connaissance avec l’Homme, sur la plage, abandonné.

Pudiquement revêtu d’une « cabine de plage » en éponge, il enfile laborieusement et peu discrètement un maillot de bain 1900.

Puis, il s’allonge sur sa serviette pour profiter en exclusivité du somptueux paysage et du radieux soleil de midi.

Prudent, il a emporté un tube de crème solaire (sans perturbateur endocrinien, ni nanoparticules, ni aluminium, ni allergènes, ni parabène, ni dioxyde de titane…), mais continuellement dérangé par des importuns, il ne fera que dévisser le tube et le revisser à chaque intrusion.

L’Homme (H.) sera presque toujours allongé ou assis sur le sable au passage de ses visiteurs importuns (contre plongée).

 

DÉVELOPPEMENT (THÈME  ET VARIATIONS)

Tempo allegro ma non troppo

Arrive par la mer un G. I. tout dégouttant, vociférant (équipé d’un fusil à eau « high-tech » et d’ustensiles de plage : pelle, seau, râteau).

 

G. I. – Omaha Beach ! Omaha Beach !

H. – Oh ma biche ? (À la de Funès plutôt qu’à la Franck Alamo.)

G. I. – Omaha Beach !

H. – Ah ! Omaha Beach ! (Prononcé à la française « Oh maa biche ! ») Ma Parole, vous débarquez ! (À la Devos.) Et puis, on n’arrive pas comme ça chez les gens !

G. I. (s’efforçant d’être aimable). – Sorry… Bonjour ! Ce n’est pas la bonne plage ?

H. – Non, et ce n’est pas le bon jour !

G. I. – What ? On n’est pas le D-Day ?

H. – Pas du tout, nous sommes le Jour J !

Le G. I. fait volte-dos pour reprendre la mer, il laisse tomber sa pelle que l’Homme récupère.

CONTREPOINT

Digression amoureuse ou « La Maldrague »

Qu’on pourra servir avec accompagnement de clavecin :
Rameau, Pièces de clavecin (1724) « Les Soupirs », Blandine Rannou (ZZT 2001)

Un plan élargi sur le G. I. qui s’éloigne fait apparaître quelques rochers. Un zoom débusque alors un couple de jeunes tourteaux enlacés qui « roucoulent » (doublage ou sous-titrage en français). Le doute devra subsister pour le spectateur : surprend-il un charmant babil entre les deux tourteaux ou entre deux tourtereaux dissimulés derrière les rochers ?

J. – Oh François ! je n’en peux plus de rester cachée, de vous rencontrer entre deux rochers.

F. – Bientôt, Juliette, nous vivrons notre amour au grand jour !

J. – François ! serrez-moi dans vos bras ! J’aime votre force tranquille !

Nouveau plan élargi. Un homme, ressemblant étrangement à Jésus-Christ sur ses dernières photos (et dont on aura pu apercevoir très fugacement la minuscule silhouette en ouverture), traverse péniblement la plage en portant  –  comme Jésus sa croix – une très grande fenêtre à croisée avec son chambranle. Arrivé à la hauteur de l’Homme occupé à dévisser son tube de crème solaire, le V.R.P. de Dieu stationne et reprend son souffle divin. Ainsi figé dans le « V » des jambes repliées de l’Homme, il obstrue sacrément sa vue sur mer.

J.-C. (le poseur). – Bonjour, je suis le poseur de fenêtres (Il pose sa fenêtre).

H. – Il me semblait bien avoir aperçu un homme à la fenêtre.

J.-C. – Vous avez une vue superbe – une vue imprenable !

H. – Je l’avais jusqu’ici !

J.-C. (présentant la fenêtre). – Justement, je vends une magnifique fenêtre panoramique éligible au label bioénergie. Vous êtes bien isolé ?

H. – Je l’étais jusqu’ici !

J.-C. – J’ai aussi une magnifique porte… (Il ouvre la fenêtre et franchit le « seuil ».)

H. – Qui vous a permis d’entrer ?

J.-C. (il sort et referme la fenêtre). – J’ai vraiment une magnifique porte…

H. – Justement, prenez-la !

Le représentant reprend son chemin de croix, emportant sa porte-fenêtre en maugréant :

« Père, j’en ai assez de faire du porte à porte ! Je me suis encore pris un de ces vents ! Et j’ai atrocement soif !… Quoi ! encore sept stations ?! »

C’est au tour d’un ouvreur – le mâle de l’ouvreuse des cinémas d’antan – de passer devant l’Homme.

O (l’ouvreur). – Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats ! Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats !  Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats !

H. – Dans la famille « Esquimau », je demande le fils !

O. – Pioche !… (L’ouvreur s’éloigne.) Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats ! Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats !…

Apparaît alors un enfant ressemblant à s’y méprendre au petit mineur des publicités Jean Mineur. Le « jeune mineur », à l’air malicieux, fait tournoyer sa pioche et la lance en direction de l’Homme qui l’esquive de justesse. Celui-ci réplique en lançant sa pelle comme un javelot, mettant en fuite le mineur.

O (voix off de l’ouvreur). – Attention ! il y a violence sur mineur !

 

CONTREPOINT

Plan élargi brièvement sur les rochers.

Rameau, Pièces de clavecin (1724) « « Tambourin  », Blandine Rannou (ZZT 2001)

J. – C’est vraiment fini avec elle, François ?

F. – N’en parlons plus, Juliette, c’est une histoire terminée. Je lui ai dit : « le changement c’est maintenant ». Je crois qu’elle a compris.

Un policier en uniforme (brigade routière) fait face à l’Homme toujours  accaparé par son tube de crème solaire. Il lui présente un carnet à souches.

P (le policier). – Bonjour Monsieur, je suis policier en quêteur, c’est pour les veuves et les orphelins de la police…

H. – C’est que… j’ai déjà donné pour les infirmes de la gendarmerie et les impotents de la douane…

P (il se fait persuasif). – Vous choisissez votre contravention !!… (Il se fait plus conciliant.) Chacun donne selon ses moyens…

H. – Mettez m’en une de première classe.

P. – Je n’en ai plus : elles sont parties comme des petits pains !

H. – Une deuxième classe, alors.

P. – Épuisées ! Il me reste, en quatrième classe, un chevauchement ou un franchissement de ligne continue (pour le même prix, prenez le franchissement), un défaut de gilet, ou alors, une petite folie hors classe : un délit de fuite !

H (se levant pour s’enfuir). – Je prends la fuite ! (L’agent s’interpose, lui barrant le passage, il se fait dissuasif.) D’accord, mettez-moi le gilet.

P. – Parfait, vous avez vos papiers ? (L’homme tend ses papiers qu’il avait dans son maillot de bain. Le policier remplit la contravention.)

H. – Mais je n’ai pas d’argent sur moi.

P. – Pas de problème ! Vous aurez droit à l’amende forfaitaire majorée : les veuves et les orphelins vous en sauront gré. (Il lui remet sa contravention.)

H. – Entre nous, Monsieur l’argent de police, qu’allez vous faire de la recette ?

P. – Honnêtement, je vais m’acheter un pliant et des jumelles.

Il s’en va, poursuivant sa quête. « Oyez, oyez, gentils plaisanciers ! Offrez des vacances aux orphelins de la police : qu’ils puissent voir la mer, ceux qui n’ont plus de  père ! »

CONTREPOINT

Plan élargi brièvement sur les rochers.                                                               

Rameau, Pièces de clavecin (1724) « « Les Niais de Sologne », Blandine Rannou (ZZT 2001)

J. – Faites attention François, vous écrasez les croissants ! Et puis vous me faites mal ! Vous devriez ôter vos lunettes !

F. – Ce ne sont pas mes lunettes, c’est la visière de mon casque…

Bref instant de répit. Retour du jeune mineur malicieux, la pelle sur l’épaule qui pèle.

m (le mineur, brandissant la pelle). – Il me semble que vous avez égaré votre pelle…

H (ramassant puis brandissant la pioche). – Il me semble que vous avez égaré votre pioche – cette pioche qui manque à l’appel.

Les deux antagonistes procèdent alors à « l’échange » (en utilisant toujours les techniques du lancer du marteau et du javelot). Chacun récupère le projectile qui a manqué de peu sa cible, puis marche sur l’adversaire et s’immobilise, fixant l’autre intensément comme font les cow-boys avant de dégainer. Silence tendu à se rompre.

m. – Puis-je connaître vos intentions ?

H. – J’attends la mer, elle ne devrait plus tarder…

m. – Elle ne viendra pas ! Elle fait la grève… Sous la plage, les pavés !

H. – Je vais attendre la fin de la grève.

m. – La grève illimitée !… Illimitée… (S’éloignant.)

Dezoomage jusqu’au plan large sur l’étendue de sable. « Illimité » pourrait être répété diminuendo comme le « Je suis un homme libre » du N°6 dans un même contexte (« Le Prisonnier », Patrick McGoohan).

Enfin seul, notre homme prend la liberté de descendre son maillot 1900 jusqu’à la taille ; puis il dévisse une nouvelle fois son tube de crème solaire. Le plan large s’élargissant vers la mer nous permet de voir arriver un homme, style garde-côte, en maillot de bain (en fait, un string) avec tee-shirt « Coast Guard » ou équivalent (on aperçoit son pédalo de fonction à l’arrière-plan). Le garde accoste l’Homme.

 

(Fin de l’extrait : pages 1-7/13)

Abel Castel

Février 2015