QU’EST-CE QUI NE VA PAS, MONSIEUR ?
Sketch en dialogue
Allée de l’hypermarché.
Un Client (C.) Un employé (E.)
E. – Qu’est-ce qui ne va pas, Monsieur ? Je peux vous aider ?
C. – J’ai perdu ma maman !…
E. – Ne pleurez pas, Monsieur, nous allons la retrouver.
C. – Je veux ma maman !
E. – Dites-moi : où l’avez-vous vue pour la dernière fois ?
C (séchant ses larmes). – Je ne sais plus… c’était dans une allée comme celle-ci… ou comme celle-là…
E. – Souvenez-vous, il y avait des oiseaux, des poissons, des fruits ?…
C. – Il y avait des fleurs ! beaucoup de fleurs, des fleurs en pot ! (Son visage s’illumine.)
E. – Parfait, suivez-moi, Monsieur, c’est au fond du magasin.
C (il le suit). – Je me souviens que ça faisait un drôle de bruit quand on marchait dans l’allée…
E. – Un drôle de bruit ? (Sans s’arrêter de marcher, répondant machinalement.)
C. – Comme des petits cailloux, comme du gravier sous la chaussure…
E (il s’immobilise). – Monsieur… moi aussi, j’ai perdu ma maman…
C. – Et vous l’avez retrouvée ? (Confiant.)
E. – Vous savez, les mamans, un jour,
elles prennent l’allée centrale, la grande allée…
Elles marchent, elles marchent,
longtemps, longtemps…
jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’elles qu’un tout petit point
– tout rond comme un nez de clown –,
(Les yeux de l’orphelin s’illuminent, il esquisse un sourire d’enfant.)
mais minuscule,
et qui n’en finit pas de disparaître
– qu’on suit encore éperdument…
(Ils restent figés un moment.)
Puis on va les attendre à la caisse centrale,
les mamans,
des journées entières, des mois, des années…
(Silence…)
Enfin, un matin, on nous dit qu’il ne faut plus rester là.
Alors, on s’en va,
en passant par la grande allée, une dernière fois, à tout hasard…
Et puis l’on rentre seul, tout seul,
en poussant le caddy vide
– mais vide ! …
Abel Castel
Février 2015