Pensées éparses d’un rabat-joie, II
EXTRAITS
Pour mieux dire au lecteur sa façon de penser,
l’auteur a ajouté quelques citations en regard de ses aphorismes.
LA FEMME
Cette saison encore,
les femmes sont inabordables.
« La plupart des femmes se rendent plutôt par faiblesse que par passion ; de là vient que, pour l’ordinaire, les hommes entreprenants réussissent mieux que les autres, quoiqu’ils ne soient pas plus aimables. » (La Rochefoucauld, Maximes, 635.)
J’aime à dévisager
les passantes ;
surtout
lorsqu’elles sont passées.
« Il se mit à manquer de respect aux femmes : à ne plus se retourner sur leur passage. » (G. Cesbron, Journal sans date, Laffont)
Je suis tombée en admiration
derrière elles.
« Au temps où les faux culs sont la majorité, gloire à celui qui dit toute la vérité ! » (Brassens, Vénus callipyge)
Quand elle m’a murmuré :
« Moi aussi, je t’aime »,
bien sûr, je ne l’ai pas crue.
Une coïncidence comme celle-là,
ça n’arrive qu’une fois par siècle !
« Admirable propension au dévouement, chez la femme … L’homme qu’elle aime n’est, le plus souvent, pour elle, qu’une patère à quoi suspendre son amour. » (Gide, Nourritures Terrestres, Mercure de France)
Ah ! ces bustiers pigeonnants !
De véritables pousse-au-vol !
Au vol à l’étalage !
Mesdames,
vos courbes sont nos droites.
Elle a su me persuader
en y mettant les formes.
Sur le fond, madame,
tout nous sépare.
Mais je vous rejoins
sur la forme.
La tombe sexuelle
J’ai toute illusion perdue
à voir la bien-aimée
si lointaine,
tout faux espoir éconduit
à lui chercher vainement
amour,
à faire les cent pas dans la cour :
non, les femmes
n’ont pas d’amants,
rien que des amoureux.
« La pruderie est une espèce d’avarice, la pire de toutes. » (Stendhal, De l’amour)
Les poupées gonflables
sont encore celles
qui se dégonflent le moins.
Elles auront beau
m’éconduire,
me reconduire à la frontière
de leur intimité…
Elles auront beau m’envoyer
sur mes roses,
elles auront beau me tourner le cul…
Elles ne m’ôteront pas l’envie
de leur chercher des histoires
d’amour.
LE MARIAGE
« Ne pouvant pas supprimer l’amour, l’Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage. » (Ch. Baudelaire, Mon cœur mis à nu)
Le mariage : crime passionnel.
Je préfère les têtes
d’enterrement
aux têtes de mariage.
Tragique méprise
Prenez garde, douces dames,
à ne pas confondre le bellâtre
avec l’homme au foyer.
Le mot du commencement :
ce premier « oui »
lâché devant monsieur le curé,
qu’elle répètera
tantôt sous le plaisir,
jusqu’au paroxysme ;
puis de jour en jour,
d’une année l’autre,
jusqu’à ce premier « non »,
claqué comme la fesse
au nez :
le mot de la fin.
Elle tient plus à son couple
qu’à son mari.
« Les femmes fidèles ne pensent qu’à leur fidélité et jamais à leurs maris. » (Jean Giraudoux, Amphitryon, Grasset)
L’homme :
le complément familial.
« Le mâle est un accident ; le femelle aurait suffi. » (Remy de Gourmont, Physique de l’amour, Mercure de France)
Le devoir conjugal,
il le revendique comme un droit,
le mari,
accroché désespérément à son petit privilège.
Mais jour après jour,
nuit après nuit
– inéluctablement -,
l’épouse remplace le devoir
par la leçon.
« Dieu n’a créé les femmes que pour apprivoiser les hommes. » (Voltaire, L’Ingénu)
Le mariage :
vivre d’amour
et d’eau courante.
Avec le temps,
ma chère et tendre…
de plus en plus chère,
de moins en moins tendre.
Familiarité
Vient le moment où les époux
sont devenus si proches,
si intimes,
si familiers…
qu’une relation sexuelle
leur apparaîtrait
comme un inceste.
« Qu’est-ce qu’un mari ? Il n’est même pas de votre famille, disait, je crois, Germaine Lubin. » (Citée par J. Chardonne, Propos comme ça, Grasset)
Je ne cherche pas la femme de ma vie,
celle-là, je l’ai trouvée ;
je cherche la femme
d’une autre vie.
L’amour, ne vous déplaise,
est un je ne sais qui.
« L’amour, ne vous déplaise, est un je ne sais quoi…
Qui vous prend je ne sais ni par où ni pourquoi… »
(Jean-François Regnard, Démocrite amoureux)
L’HOMME
L’homme est inacceptable. (E. Cioran, Ecartèlement, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
L’homme, cet incongru.
« L’homme, cet inconnu. » (Alexis Carel, Plon)
L’homme :
un incident qui se reproduit.
« Je sais que ma naissance est un hasard, un accident risible, et cependant, dès que je m’oublie, je me comporte comme si elle était un événement capital, indispensable à la marche et à l’équilibre du monde. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Gallimard, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
« C’est seulement quand on vit à la fois à l’intérieur et en marge de soi-même, qu’on peut concevoir en toute sérénité, qu’il eût été préférable que l’accident qu’on est ne se fût jamais produit. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Être n’est pas
une raison d’être.
« Que tout soit dépourvu de consistance, de fondement, de justification, j’en suis d’ordinaire si assuré, que, celui qui oserait me contredire, fût-il l’homme que j’estime le plus, m’apparaîtrait comme un charlatan ou un abruti. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Défoulement
Un jour comme les autres,
parmi la foule,
une foule comme les autres
– un peu plus dense,
peut-être -,
sait-on pourquoi l’on sort une arme
et l’on tire
pour se dégager ?
« Peut-on se figurer un citadin qui n’ait pas une âme d’assassin ? » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
« La preuve que l’homme exècre l’homme, il suffit de se trouver au milieu d’une foule, pour se sentir aussitôt solidaire de toutes les planètes mortes. » (E. Cioran, Ecartèlement, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Je fuis la foule des grandes villes,
gigantesque inflation
qui déprécie l’individu,
qui le discrédite,
l’avilit.
« Dégoût désespéré devant une foule, qu’elle soit hilare ou maussade. » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Des hommes
on peut tout obtenir,
mais on ne doit rien attendre.
Il est de ces gens qui se prétendent vos amis,
mais que vous ne voyez jamais
que lorsque vous avez besoin d’eux.
(Abel Castel, Pensées à venir)
Le raciste fonde sa haine de l’autre
sur le préjugé.
S’il le connaissait mieux,
l’autre,
il le haïrait mieux.
(Abel Castel, Pensées à venir)
L’HUMOUR
J’ai de quoi rire.
Dompteurs de mots
Faiseurs de bons mots,
immense est votre mérite :
le mot n’est pas
naturellement bon.
(Abel Castel, Pensées à venir)
Le sens interdit
Il n’y a pas de choses
avec lesquelles
on ne plaisante pas.
Seulement des gens.
« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. » (P. Desproges, Tribunal des flagrants délires)
L’humour est enfant de bohème
Il n’a jamais, jamais connu de loi…
(Abel Castel, Pensées à venir)
Le rire : un réflexe.
Le sourire : une réflexion.
« Le sourire de l’âme, préférable au rire de la bouche. » (Voltaire, l’Écossaise, Préface).
Le sourire n’est pas un sous-rire.
(Abel Castel, Pensées à venir)
Le sourire est de rigueur…
On l’aimerait mieux
d’indulgence.
L’humour,
elle ne le goûtait pas,
elle ne le sentait pas non plus,
ni ne l’entendait,
elle ne pouvait pas le voir.
Elle n’avait aucun sens
de l’humour.
« Stand-up »
Mon humour, pour vivre,
je l’aurais bien mis sur le trottoir,
je l’aurais montré à tous les passants,
je l’aurais monnayé
– comme les autres …
Mais on m’a dit :
« Ne vous donnez pas
cette peine :
vous êtes impayable ! »
Mon pauvre Humour !
Réduit en esclavage
par des marchands de plaisir,
exhibé
comme une bête de cirque,
jeté en pâture
à la foule déchaînée…
la Risée de tous !
L’humour est une chose trop sérieuse
pour être confiée à des amuseurs.
(Abel Castel, Humorosité)
Je ne suis pas d’humour
à plaisanter.
LE SAVOIR
« Un homme cultivé ressemble à une boîte à musique. Il a deux ou trois petites chansons dans le ventre. » (Alain, Propos, Gallimard)
Sans les jeux télévisés et radiophoniques,
combien de leçons
apprises pour rien !
Instruisez-vous, cultivez-vous,
mais surtout : vivez !
Ça vous apprendra !
Qui croire ?
Jacques Lacan qui affirme :
« Le trait unaire aliène le sujet
dans l’identification première
qui forme l’idéal du moi… »,
Roland Barthes qui soutient :
« Une substance plane qui ne va nulle part,
et qui suspend ainsi
le devenir de l’homme,
le détache d’une raison,
d’une ustensilité des lieux… »,
ou maman,
quand elle me dit
que si je mange trop de chocolat,
j’aurai mal au ventre ?
Égaré dans un musée,
je délaisse tableaux et statues,
leur préférant
l’énigmatique sourire vertical
d’une accorte visiteuse.
L’art incarné,
l’art en mouvement.
« Nul ne peut aujourd’hui trépasser sans voir NaplesA l’assaut des chefs-d’œuvre ils veulent tous courirMes ambitions à moi sont bien plus raisonnablesVoir votre académie, madame, et puis mourir » (G. Brassens, Vénus callipyge)
Au tableau,
je préfèrerai toujours le
modèle ;
l’œuvre de Dieu,
à celles de ses saints.
« Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » (Pascal, Pensées II, 134)
Perte de connaissances
La faculté vient
de perdre son doyen,
qui, lui-même, n’avait plus
toutes ses facultés.
L’abus de savoir
Vous en savez trop :
vous allez mourir.
« La connaissance ou le crime d’indiscrétion. » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
LA VIEILLESSE
On vit de plus en plus vieux
– et de moins en moins jeune.
Elle peut encore plaire
à son âge.
Mais c’est à un autre âge
qu’elle voudrait plaire.
Il faut souffrir
pour avoir été belle.
Je perds la vue, l’ouïe, le goût,
mes dents, mes mots…
J’ai la vie qui baisse.
Je me fais vieux :
je me raconte, je me répands,
j’évioque.
La vieillesse est un naufrage…
C’est surtout une inondation.
À l’hospice,
nécessairement,
le vieillard est sous protection.
Il n’a pas même sa caisse,
comme le chat.
Il n’a plus d’existence propre.
« La misère d’un vieillard n’intéresse personne » (Victor Hugo, Les Misérables)
Courtoisie
Enterrés vivants,
les vieux envient
les résidents du jardin d’à côté
qui ont droit, une fois par an,
à la visite de la famille,
attentionnée et fleurie,
par une belle journée de novembre.
« Les vieillards meurent parce qu’ils ne sont plus aimés. » (Henri de Montherlant, Carnets, Gallimard)
À la fin,
ne pouvant plus se retenir,
on finit par s’oublier.
Terminus
À bout de faiblesse,
parvenus à destination,
les vieux auraient bien voulu descendre.
On ne leur en a pas laissé le temps !
Que faire à présent
qu’on a dépassé la Mort ?
Elle aura bientôt enterré
toute sa vie
dans ses trous de mémoire.
Vieux sage
Avec la vieillesse,
arrive enfin l’âge où l’on renonce à l’alcool :
plus besoin de boire pour oublier.
(Abel Castel, Pensées à venir)
Le vieux,
il prend ses souvenirs
pour des réalités.
Plus beau qu’un rire d’enfant :
le sourire d’un Alzheimer.
© Max Milo Éditions
www.maxmilo.com
ISBN : 978-2-315-00508-6
Si ces extraits des Pensées éparses d’un rabat-joie vont ont mis les mots à la bouche,
voici quelques bonnes adresses où vous trouverez l’intégrale du recueil :














