Où je pense (III)
(Extraits)
Pour mieux dire au lecteur sa façon de penser,
l’auteur a ajouté quelques citations en regard de ses aphorismes.
LA MORT
LA MORT – LE CHANT DU CYGNE
Ma dernière œuvre est arrivée…
LA MORT – ENTRÉE EN POUSSIÈRE
C’est donc Vous !
Je ne vous attendais pas si tôt.
Si vous avez une course à faire…
Non ?…
Marché noir
Pactisons, chère Camarde !
(C’est un joli nom, Camarde.)
Vous commuez ma peine de mort
en perpétuité,
et je vous livre tous les réfractaires,
les résistants, les survivants,
les mauvais mourants.
« Je suis en pourparlers avec la mort, je pèse ses propositions. » (P. Claudel,1868 -1955)
Une mort sans histoire
C’est bon :
j’abandonne.
Je hisse le drapeau noir,
je me rends sans condition.
Je vous suis les yeux fermés…
« Yeux : Il leur arrive d’être fermés pour cause de décès. » (R. David)
LA MORT – FORMALITÉ
Quatre chiffres après un tiret…
Ils n’attendent que ça,
à l’état civil,
pour refermer ma parenthèse.
LA MORT – LA MORT BRUTALE
Il est mort des suites d’un décès.
Ça ne pardonne pas !
Plus inébranlable
que le mur de la honte,
plus implacable
que le rideau de fer,
il y a le couvercle de la mort.
« Les personnes qui ne connaissent pas encore ma grand-mère sont priées de se dépêcher. On ferme le cercueil à 14 heures. » (P. Gilhodez 1954-)
On ne meurt pas :
ici, l’on décède
– là, on crève.
Dans chaque cimetière,
il faudrait aménager un caveau témoin.
On le louerait ante mortem
pour une courte villégiature :
le temps de s’adapter au décalage horaire,
de faire connaissance avec les riverains,
de prendre ses marques
– de faire son trou.
Pour une transition en douceur,
pour se faciliter la mort.
« Je demande, pour ma part, à être conduit au cimetière dans une voiture de déménagement. » (A. Breton, Manifeste du surréalisme, Pauvert)
LA MORT – NÉCROLOGIE
Avis de catastrophe naturelle
J’ai appris ma mort fortuitement…
dans le dictionnaire.
« Ma mort n’aurait aucune importance sentimentale : ce serait une erreur technique compte tenu des livres qui me restent à écrire. Je ne me regretterais pas, je me dirais simplement que c’est une catastrophe naturelle. » (J.-E. Hallier, 1936-1997)
Ce n’est que parvenu à la page 727
du roman de la langue française
de monsieur Émile Littré,
à peine guéri de la Morsure,
que j’ai appris la chose…
Ainsi, du seuil de l’Abaissement
aux portes de la Mortadelle,
j’aurai connu 726 pages
d’Insouciance.
« Tous les hommes sont mortels. »
Il ne pouvait pas garder ça pour lui,
Paul Robert ?!
Comment se passionner
désormais
pour une histoire
dont on connaît la fin ?
LA MORT – MORTALITÉ
« Sauf complications, il va mourir. » (J. Renard, Journal)
Je vais mourir :
continuez sans moi…
« La fin du monde : ta mort. Et dans le même temps, j’éprouvais à quel point le monde allait continuer sans toi. » (A. Philipe, Le Temps d’un soupir, Julliard)
Si je n’apparais que furtivement
aux enterrements,
si je ne fais jamais
de vieux os
dans les cimetières,
c’est que je ne tiens guère
à me rappeler
au bon souvenir de la Mort.
Emboîtage
À trop suivre les enterrements,
à emboîter le pas aux cortèges,
on finit par se laisser entraîner
par la Mort.
Des concessions,
il y en a plein les cimetières,
mais la Mort n’en fait pas.
LA MORT – LIT CLOS
« Le lit est l’endroit le plus dangereux du monde : quatre-vingt-dix pour cent des gens y meurent. » (M. Twain, 1835-1910)
Comme on fait son lit, on se couche
Il faudra que je pense
à réserver mon lit de mort.
Pour ma dernière apparition,
mon lit de toutes les nuits
ne fera pas l’affaire.
Le dernier meuble
avant le cercueil,
on ne le trouve pas en magasin…
Des lits de morts, il y en a ici,
à l’hôpital,
des lits de morts et d’agonisants,
à tous les étages,
et tristes à mourir ;
et qui se ressemblent tous
comme deux gouttes
d’une perfusion…
Je voudrais bien avoir le choix…
LA MORT – INSUBORDINATION
« La mort ne m’aura pas vivant. » (J. Cocteau 1889-1963)
Surtout,
ne m’attendez pas
pour mourir.
Un précédent historique
à créer :
négliger de mourir.
« Tiens, Dupont-Delajatte est mort… C’est étonnant de la part d’un tel anticonformiste. » (J.-M. Kerleroux, dessin pour le Grand livre de l’humour noir, P. Héraclès)
La Promise
Quoi ? La Mort ?
Cette femme de mauvaise vie,
cette créature
qui se donne à tout le monde !
Ah ! ça, jamais !
Plutôt vivre !
Mauvais exemples
Mourir, quelle vulgarité !
Mourir, vous n’y pensez pas !
Laissons cela
à la masse docile, résignée ;
laissons cela
aux esprits terre à terre.
Au commun des mortels.
« La mort n’est que pour les médiocres. » (A. Jarry, Gestes et Opinions du docteur Faustroll, Fasquelle)
LA MORT – LA FEMME FATALE
Mourir, c’est succomber…
à la Tentation.
Epitaphe de Don Juan Je meurs d’envie de vous connaître. (J.-P. Tandin 1942-2022)
Ruineuse maîtresse
Riches ou pauvres,
nous finissons tous fauchés
par la Camarde.
Le dernier pas
Elle est là,
juste là,
au pied de la falaise.
Tu n’as qu’un pas à faire
et elle est à toi,
celle-là qui tombe
les hommes.
La Mort,
quelle carrière !
si elle avait un bon contact !
« La mort est belle, elle est notre amie ; néanmoins, nous ne la reconnaissons pas, parce qu’elle se présente à nous masquée et que son masque nous épouvante. » (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe)
LA MORT SANS PEINE
« La mort n’est qu’un banal incident, qui ne dure qu’un instant. Une affaire où l’on a plus de peur que de mal. » (S. Butler, 1835-1902).
Ne me parlez pas de mort violente,
c’est la vie qui est violente !
La placide Camarde
ne fait pas plus usage
de sa faux
que les gardes pontificaux
de leur hallebarde.
Tout se passe entre personnes
consentantes.
LA MORT – LA MORT EN DOUCE
Enfin une contrée hospitalière !
Il y a deux mères :
celle qui se penche sur notre
berceau,
celle qui se penche sur notre
tombeau.
L’une nous aura porté des mois,
l’autre des années.
« C’est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre… » (Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, La Mort des pauvres)
LA MORT – LA FEMME FACILE
Cette fois,
je n’aurai pas à faire le premier pas.
La Vie ne sait pas dire
« oui ! »
La Mort ne sait pas dire
« non ! »
« Bah ! je ne laisse après moi que des mourants ! » (N. de Lenclos 1620-1705)
Hâtez-vous de mourir
tant que c’est donné
à tout le monde !…
Ça ne durera pas.
Extrait de « Cent bonnes raisons pour me suicider tout de suite » (R. Topor 1938-1997) « La vie augmente, la mort reste abordable. »
Étouffe-chrétien
Une vie sans issue
serait irrespirable
– plus suffocante encor
que l’enfer.
LA MORT – LA PEINE DE MORT
Exemplarité de la peine
Nos morts, on ne les pleurera
jamais autant
qu’un condamné se pleure
– qu’il se « regrette » –
la veille de son exécution.
Il ne faut pas mourir !
Vous savez bien
que cela nous fait de la peine…
Elle est morte dans son sommeil,
mais dans le mien,
elle vit toujours.
Bien sûr, quand on est riche,
on peut se permettre
de perdre un être cher !
On ne meurt pas
de la mort des autres.
« Ce qui est effrayant dans la mort de l’être cher, ce n’est pas sa mort, c’est comme on en est consolé. » (H. de Montherlant, La Reine morte, Gallimard)
Je l’ai accompagnée
jusqu’à la gare, jusqu’au quai ;
mais je ne suis pas monté
dans le train.
J’ai juste foulé un instant
le marchepied de la mort.
Ce n’est pas le mort, qu’ils pleurent
– lui qui s’esquive, se dérobe,
qui leur claque
le couvercle au nez –,
mais eux-mêmes,
abandonnés à leur triste sort ;
laissés pour vivants.
« Le chagrin pour les morts est une niaiserie. Une illusion également. C’est sur nous-mêmes que nous pleurons, sur le vide ou la privation qu’ils nous laissent. Eux, ils sont morts, c’est-à-dire : ils ne sont plus rien. Pleurer sur eux ne rime à rien. » (P. Léautaud, Passe-Temps, Mercure de France)
LA MORT – DERNIER DOMICILE CONNU
L’allée simple.
L’allée sans retour.
Le gravier
et puis la pierre.
Le mort qu’on descend à la cave.
Et les proches qui s’éloignent
– pourtant.
Inhumer,
c’est inhumain.
Cadavres ingrats,
trop chers disparus :
pas un
pour donner signe de mort !
Et l’angoisse des familles…
Ah ! on les a vite enterrés,
les vivants !
Rire de mourir
C’est Alberto Sordi
– ce Monstre –
qui a raison :
les morts,
il ne faut pas les pleurer :
il faut les rire !
LA MORT FAMILIÈRE
Madame Sans-Gêne
Elle te tourne autour, elle te frôle,
elle te sourit.
Elle sort avec tes copains.
Elle s’invite à ta table…
Il arrive un moment où la Mort ne se gêne plus.
LA MORT – LA MORT ÉTERNELLE
« Ce n’est pas tout de mourir, il faut mourir à temps. » (J.-P. Sartre, Les Mots, Gallimard)
Les vieux
ne veulent plus se coucher !
Les vieux persistent et se signent.
Les vieux s’éternisent :
la mort lente,
à petit feu, à petites cendres.
À propos de la mort de François Mauriac à 85 ans « Il a bien l’âge de mourir. La mort d’un vieillard, à peine une mort. » (S. de Beauvoir 1908-1986)
L’âge ultime : cent ans…
et des poussières.
« La mort, ce changement d’état si marqué, si redouté, n’est dans la nature que la dernière nuance d’un état précédent. » (Buffon, Histoire naturelle, L’Homme)
J’ai frôlé la mort ;
je peux vous le dire :
ça ne sentait pas le chrysanthème !
Oh ! ces extrêmes vieillards !
cadavres déambulants,
dépouilles immortelles
– gisement à ciel ouvert !
On gagnerait
à délivrer plus facilement
le permis d’inhumer.
« On dirait quelqu’un qui a oublié de se faire enterrer. » (H. de Montherlant, Vues sur le théâtre)
Cet âge critique
où l’on tombe dans l’oubli…
Où les autres vous oublient ;
où l’on s’oublie soi-même…
Où même la mort
semble vous oublier.
« Une femme de quatre-vingt-dix ans disait à M. de Fontenelle âgé de quatre-vingt-quinze ans : « La mort nous a oubliés. — Chut ! » lui répondit M. de Fontenelle. » (Cité par Chamfort, Maximes et Pensées)
On ne pense pas assez à la Mort…
La pauvre Camarde ne sait plus
où donner de la faux.
Ça grouille, ça pullule ;
chaque jour,
de nouveaux arrivants
qu’il faudra bien
faire passer de vie à trépas !
La Mort fatigue, la Mort peine :
c’est qu’elle n’a plus vingt ans !
Elle ne tient pas la cadence.
Et nos vieillards
restent sur leur fin.
Sentant
que cela va se gâter,
tirer sa révérence.
Mourir avant la fin.
LA MORT – DEVANCER LA BELLE
Mais réussir sa vie ne consolera jamais d’avoir raté sa mort.
« Beaucoup plus facile d’admettre le suicide de quelques-uns que l’obstination de la majorité à vivre. » (J.-C. Brisville, Inédit)
LA MORT – LE COUP DE GRÂCE
Gardez-nous
de ceux qui s’acharnent
à nous compliquer la vie,
plutôt que de ceux
qui s’évertuent
à nous faciliter la mort.
Parvenu tout au bord,
vouloir seulement
qu’on nous donne la mort
comme on nous a donné la vie.
Attendre son donneur.
LA MORT – DERNIERS OUTRAGES
Et définitivement vaincu,
humilié, mortifié ;
il s’en va, l’homme,
sans demander ses restes.
« Ignorez-vous que dans le dernier voyage, il n’y a pas de voyageur ? » (R. Judrin 1909-)
Dernier hommage
ou derniers outrages ?
Le défunt – indigne à l’évidence
de recevoir quiconque –,
le cadavéreux
exposé comme pour l’exemple…
Et certes le spectacle est dissuasif.
Paix ! Paix à nos cendres !
« Être mort, c’est être en proie aux vivants. » (J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard)
Vert et pourtant trop mûr,
débraillé, dépenaillé, décomplexé,
mort à faire peur :
voici l’abominable homme
de cendres.
« Les morts vieillissent mal. » (Frédéric Dard, Pensées, Cherche-midi)
Belle comme au dernier jour…
La morbide espèce !
qui le livide exhibe
et voile le vermeil.
Fraîchement mort,
« cueilli du jour »,
et déjà les importuns
qui se pressent :
la famille, les voisins, les amis,
le curé, le thanatomachin,
quand ce n’est pas le légiste…
L’art d’incommoder les restes.
Tout finit par des chansons…
Quand bêle le noir troupeau
les chansonnettes à bon Dieu,
le pot-pourri pour les veillées,
approchez-vous du mort
sur son lit de parade,
et vous recueillerez
sa première volonté :
disparaître !
ne plus être en vie !
« Être en vie — tout à coup je suis frappé par l’étrangeté de cette expression, comme si elle ne s’appliquait à personne. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Pour une mort en douce,
un adieu furtif,
un enterrement à la cloche de bois.
Pour une fin de non-recevoir.
« Ne m’enterrez pas en grande pompe, mais à toute pompe. » (S. Gainsbourg 1928-1991)
LA MORT – VEILLÉE FUNÈBRE
« Veille un mort, et tu sauras ce que l’aube signifie ! » (Frédéric Dard, Pensées, Cherche-midi)
Triste Cire
Il a le visage fermé,
les lèvres pincées,
les mains jointes, soudées
– lui qui nous accueillait toujours
à bras ouverts.
Il n’a même pas daigné
nous faire asseoir…
C’est fini ! Nous ne le verrons plus !
L’ex
Engoncé dans son cercueil,
il attendait, impassible,
l’heure de la fermeture.
On ne voyait guère plus loin
que le bout de son nez
qui luisait dans la molle pénombre.
Tout ce qui brille
n’est pas mort.
Dames de compagnie
ou les vieilles de la veille
Quand le veillé s’est éteint,
et que seules les veilleuses
restent allumées…
LA MORT – ENCENSOIR
« La plus grande charité envers les morts, c’est de ne pas les tuer une seconde fois en leur prêtant de sublimes attitudes. La plus grande charité, c’est de les rapprocher de nous, de leur faire perdre la pose. » (F. Mauriac, La Vie de Racine, Plon)
Pourquoi
cette déplorable habitude
d’encenser les morts ?
Avez-vous si peur
qu’ils vous attendent
à la sortie ?
D’oraison se garder
À chaque éloge funèbre,
me prend l’envie
d’allumer un contre-feu.
Le maître d’autel :
« Mon Dieu, permettez-moi
de vous recommander
le mort du jour ! »
Mais Dieu préfère la carte :
il sait que plus l’éloge est appuyé,
moins le mort
est recommandable.
LA MORT – À CHACUN SON TROU
« C’est un trou de verdure où chante une rivière […] Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. » (A. Rimbaud, Le Dormeur du val)
Tirage au mort
À qui le trou ?
Trou trou, ce sera toi
qui ira dans l’trou.
« Et on m’mettra dans un grand trou
Et j’n’entendrai plus parler d’trou, plus jamais d’trou
De petits trous, de petits trous, de petits trous… »
(S. Gainsbourg, Le Poinçonneur des Lilas, B. Vian ?)
La vie, à la longue…
ça creuse.
J’avais un trou
dans mon emploi du temps :
le voilà comblé.
Et moi tout au fond.
Ce n’est que cela, rien que cela,
finalement, un homme :
un bouche-trou.
Signifier
Seul le fossoyeur sait vraiment
ce que descendre un homme
signifie
signifie
signifie
signifie
signifie
signifie
LA MORT – DANS LA MORT COURANTE
« La mort, ce secret qui appartiendra à tout le monde. » (C. Aveline, Avec toi-même, Pégomancie, Mercure de France)
On croit rêver,
mais on ne rêve pas :
on est bien mort.
« Coma : La mort comme si vous y étiez. » (S. Mirjean)
Jour de fête
Pour l’occasion,
toiletté de frais,
il a revêtu ses habits du dimanche.
Roides habits
d’un sombre dimanche,
car le cœur n’y est plus !
Plus à rire, à chanter
– à danser.
Les morts ne sont pas heureux !
Échos de la mort
– Comment vont vos morts ?
– Pas mieux :
ils sont toujours couchés…
LA MORT – EN QUITTANT CETTE VALLÉE DE LARVES
« Invoquer la postérité, c’est faire un discours aux asticots. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit)
Les vers à soi
Arrivé nu comme un ver,
on s’en ira
– plus nu encore :
comme des milliers de vers.
« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride D’où sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons. » (Ch. Baudelaire, Une Charogne, Les Fleurs du mal)
Je réclame une mort
sans cadavre,
comme il y a des mariages
sans enfant.
« En somme la mort, c’est un peu comme un mariage. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit)
Mon Dieu,
ne nous soumets pas
à la déchéance,
mais délivre-nous
de ce sommeil agité
– grouillant –,
de cette immonde agonie
post mortem.
LA MORT – LE TESTAMENT DE L’APHORISTE
Pour ne pas moisir ici,
j’ai choisi d’être incinéré :
demain, je pars avec la caisse,
je prends la poudre d’escampette.
Pot-pourri
Ma dernière volonté :
que dans l’urne on recueille
le meilleur de mes cendres :
quelques pincées choisies,
poudreuse anthologie,
florilège de poussière.
DERNIÈRES NOUVELLES
DERNIÈRES NOUVELLES
Une dépêche
tombe à l’instant.
Une bien mûre, évidemment.
Les détenus ont fait le mur
un soir où il tombait
des cordes.
Règlement de comptes
entre fées et apothicaires.
Un déséquilibré a tué
deux passants…
en tombant de son perchoir.
Happé par un train fou
arrivé sans crier gare.
Le délinquant routier
a été libéré
pour bonne conduite.
Quand on a arrêté Minuit,
il en était déjà
à son douzième coup.
Le coupable court toujours…
mais la victime
est dans un fauteuil roulant !
Mains de fer
dans gants de latex,
les femmes de ménage
ont rétabli l’ordre.
Vague à lame
Le noyé était au bout
du rouleau.
Nouvelles de Corse
Des plastiqueurs arrêtés
en flagrant délit.
Que fait la police ?
Fraude à l’assurance retraite.
Stupéfiante arrestation
d’un Arrco trafiquant.
Couverture
Sous le manteau,
l’exhibitionniste pratiquait
la vente à la sauvette.
On lui a confisqué
sa marchandise.
Filles de colère
Le gouvernement projette
d’interdire la prostitution :
les péripatéticiennes
sont dans la rue.
À moitié pardonné
L’hémiplégique,
qui avait assassiné sa moitié
a été libéré à mi-peine.
Une rouste pour une brune
Passé à tabac
pour une cigarette.
Amitié virile
Saoulée de coups
par ses deux compagnons
de beuverie,
la victime a perdu connaissance,
mais gagné deux amis.
Drame de la pauvreté
Il brûlait ses enfants
avec ses mégots,
trop misérable pour se payer
un cendrier.
NOUVELLES DE LA ROUTE
Lourds-légers
Rencontre déséquilibrée
entre un poids lourd
et un deux-roues :
le deux-roues au tapis
dès la première reprise.
NOUVELLES FROIDES
Le sabotage
d’une remontée mécanique
à la station de ski de Megève,
– dont le bilan provisoire
est de trois morts et cinq disparus –,
vient d’être revendiqué
par un groupuscule tropdeskiste.
NOUVELLES BRÈVES
Le Bourhis,
à la 75ème minute.
Judas,
contre son camp.
NOUVELLES LONGUES
Armés jusqu’aux dents de lait
C’est en cherchant dans son cartable
son livre d’éducation civique,
que l’élève de primaire H. Smith
a appuyé malencontreusement
sur la détente de son 357 Magnum
(que ses parents avisés lui avaient confié
pour qu’il n’aille pas tout nu à l’école),
pulvérisant la tête,
manifestement bien pleine,
de son voisin, l’élève D. Wesson.
Pensant à une agression,
chacun dans la classe a alors sorti son arsenal
pour prendre part au carnage…
« Plus jamais ça ! »,
protestent à présent les ex-parents d’élèves
(il n’y a eu aucun survivant).
Ils viennent d’être entendus par la direction de l’école
qui a décrété que désormais,
par mesure de sécurité, dès la maternelle,
chaque élève devrait porter religieusement autour du cou
un chapelet de grenades.
Le mur de la chance
Le 11 novembre 1989,
le célèbre violoncelliste russe Mstislav Rostropovich
donnait les suites de Bach
lors d’un concert improvisé au pied du Mur de Berlin…
Ce qu’on ne sait pas,
c’est qu’à peine quarante-huit heures plus tôt,
ce mur bâti il y a vingt-huit ans
venait de s’effondrer.
On mesure l’ampleur de la catastrophe
que l’on a frôlée ce jour-là,
dans la future capitale de l’Allemagne réunifiée.
ARRIÈRE–PENSÉES
ARRIÈRE–PENSÉES
Absence justifiée
Cloué au fond de son cercueil
par une bonne crève,
il s’est fait porter pâle.
À l’hypotal
Je vais subir l’ablation de l’hypoténuse,
mais je ne m’en fais pas :
comme l’a dit le chirurgien
pour me rassurer,
il me restera encore
deux côtés.
Argent mécontent
Moi, les riches, les opulents,
je vais leur dire ma façon
de dépenser !
Ascension sociale
C’était un p’tit gars
d’Chamonix
qui voulait monter sur Paris.
Aube nouvelle
Quand les poules auront des dents…
alors les coqs déchanteront.
La Balle aux condamnés
La balle est dans le camp
des fusillés.
Biotype
Les pro-bio,
naturellement,
sont contre les antibios.
Bouchers doubles
Il y a des bouchers-charcutiers,
et des chirurgiens-dentistes…
Mais aussi
des dentistes-charcutiers
et des chirurgiens-bouchers !
Cendres froides
Depuis qu’elle s’est éteinte,
depuis qu’il a cassé sa pipe…
ils ont arrêté de fumer.
Chaussure à son pied
Je lui ai proposé la botte :
elle m’a soumis
le talon aiguille.
Contre-indication
Les indicateurs au poteau !
Emplettes à la Pyrrhus
J’ai acheté des lunettes
qui m’ont coûté
les yeux de la tête,
un pantalon qui m’a coûté
une jambe,
et un caleçon qui m’a coûté
la peau des fesses.
Feu d’artifices
J’ai une jambe artificielle,
un poumon artificiel,
un anus artificiel
– mais des besoins naturels.
Fin de vit
De moins en moins
de membres actifs
à l’amicale des seniors.
La France pleure
Journée de deuil national :
« En larmes citoyens ! »
Même les programmes
sont bouleversés.
Frères de sans
Certes, les sans-papiers,
les sans-abri, les sans-emploi,
les sans-dents…
Mais aurez-vous jamais une pensée
pour les sans-pitié ?
Gazon
Il est moins déplaisant
d’être tiré de sa sieste
par le bruit
d’une tronçonneuse,
que par son contact.
Genèse
Et Dieu créa la femme :
une croqueuse de pomme
légère et court-vêtue
qu’il baptisa Ève.
Le premier homme n’aurait rien de mieux
à se mettre sous l’Adam.
Gourmandise
J’ai une faim de loup,
mais je saurais me contenter
d’un berger allemand.
Haute saison
C’est au printemps surtout,
que les nains
sont mal dans leurs os :
lorsque les jours allongent.
Hiroshima… connais pas !
Que dire de ces inconscients
qui font la bombe,
alors qu’il y a tant
de sans-abri !
Hors de portée
Le prix de la baguette
a encore augmenté :
il n’y aura bientôt plus
de chefs d’orchestre !
Jeux de nains, jeux de vilains
Escalade dans l’ignominie :
après le lancer de nains,
le commerce de gros.
Négociations grammaticales
Nous avons obtenu
l’accord de l’adjectif
et la signature du nom,
mais le verbe a refusé
toute proposition.
Oculisme
Les cuvettes des toilettes,
on a pris soin
de les équiper de lunettes.
Ce qui n’empêche pas certains malotrus
de faire à côté.
L’ordre du jour
Matin, midi et soir.
(Jusqu’à nouvel ordre.)
Orgueil mal placé
Certes, en vieillissant,
on devient sourd, aveugle,
grabataire, incontinent…
Mais au moins peut-on dire
sans mentir
qu’on en a dans le pantalon !
Les papillons de complaisance
J’allais sur le sentier,
folâtrement accompagné
par un gracieux papillon…
Quand il a bifurqué,
un autre l’a remplacé,
à l’aile levée,
puis un troisième, un quatrième
qui se sont relayés,
sur le sentier,
pour m’aider à boucler
mon quatre fois cent mètres
papillon.
Pêche à la mouche et aux cucurbitacées
On ne prend pas les mouches
avec du vinaigre…
mais on prend les cornichons.
Perdu de vue
J’ai perdu un œil à la guerre.
Et comme on a perdu la guerre…
je n’ai plus qu’un œil
pour pleurer.
Pestilence
Mes dents se déchaussent,
et ça sent fort,
comme les pieds.
Pince-sans-rire
On prend le thé dans un salon,
dans une tasse,
dans l’après-midi,
avec du sucre, du lait,
des madeleines, des amies…
le sucre
avec une pince à sucre
– comme on prend le vélo
avec des pinces à vélo.
Les plaisirs du Palais
Félix, Valéry, Jacques,
François et François,
Nicolas :
la Fonction crée l’orgasme.
Les poètes maudits
Saint-John Perse :
enfin !
Porte-à-faux
Il faudrait en finir
une bonne fois pour toutes
avec cette déplorable habitude
de sortir par la porte d’entrée.
Portrait arraché
J’ai le nez de mon père
et les oreilles de ma mère ;
mais ça n’a pas été sans mal.
Révolution de palais
La moutarde
n’est pas à prendre
avec des pincettes,
la salière a annexé le poivrier,
cuillères et fourchettes
sont à couteaux tirés,
les serviettes
ne veulent plus servir,
les sous-plats
exigent une promotion,
les verres à pied
refusent de marcher,
Les assiettes plates
voudraient se faire opérer…
Nous n’arrivons plus,
nous n’arrivons plus
à dresser la table !
Les risques du métier
Faux-monnayeurs,
que ne fabriquez-vous
de la vraie monnaie !
Sapin
mon beau
Mon beau sapin
déraciné, assassiné,
sacrifié comme la dinde à Noël…
Mais avec la suprême consolation
d’être décoré à titre posthume.
Triste sire
Il a écopé de 75 années de prison.
Ça lui a fait beaucoup de peine…
Une plombe de retard
Le plombier est arrivé trop tard :
le voleur avait pris la fuite !
Vie à crédit
Avec cet air emprunté
qu’il ne rend jamais…
Voyageur sans bagage
Le coffre s’est fait la malle.
Il l’a bientôt abandonnée
avec ses deux petites mallettes
pour partir avec la caisse ;
avant de se faire la valise,
qu’il a laissée sur le quai.
ARRIÈRE–ARRIÈRE–PENSÉES
ARRIÈRE–ARRIÈRE–PENSÉES
Les grands moyens,
ne seraient-ce point les extrêmes ?
Plus difficile
que de chercher une aiguille
dans une botte de foin :
la trouver.
Qui a raison ?
La vaisselle,
qui se lave et puis s’essuie ?
ou l’affront,
qui s’essuie et puis se lave ?
Si vous voulez connaître ma position
Ce qu’il y a de bien
avec les chaises,
c’est qu’on peut s’asseoir dessus.