Où je pense (III)

(Extraits)

Pour mieux dire au lecteur sa façon de penser,

l’auteur a ajouté quelques citations en regard de ses aphorismes.

LA MORT

 

 

 

 

LA MORT – LE CHANT DU CYGNE

 

 

 

Ma dernière œuvre est arrivée…

 

 

 

LA MORTENTRÉE EN POUSSIÈRE

 

 

 

C’est donc Vous !

Je ne vous attendais pas si tôt.

Si vous avez une course à faire…

Non ?…

 

 

 

Marché noir

Pactisons, chère Camarde !

(C’est un joli nom, Camarde.)

Vous commuez ma peine de mort

en perpétuité,

et je vous livre tous les réfractaires,

les résistants, les survivants,

les mauvais mourants.

 

 

 

« Je suis en pourparlers avec la mort, je pèse ses propositions. » (P. Claudel,1868 -1955)

 

 

 

Une mort sans histoire

C’est bon :

j’abandonne.

Je hisse le drapeau noir,

je me rends sans condition.

Je vous suis les yeux fermés…

 

 

 

« Yeux : Il leur arrive d’être fermés pour cause de décès. » (R. David)

 

 

 

 

LA MORT – FORMALITÉ

 

 

 

Quatre chiffres après un tiret…

Ils n’attendent que ça,                                                

à l’état civil,

pour refermer ma parenthèse.

 

 

 

 

LA MORT – LA MORT BRUTALE

 

 

 

Il est mort des suites d’un décès.

Ça ne pardonne pas !

 

 

 

Plus inébranlable

que le mur de la honte,

plus implacable

que le rideau de fer,

il y a le couvercle de la mort.

 

 

 

« Les personnes qui ne connaissent pas encore ma grand-mère sont priées de se dépêcher. On ferme le cercueil à 14 heures. » (P. Gilhodez 1954-)

 

 

 

On ne meurt pas :

ici, l’on décède

– là, on crève.

 

 

 

Dans chaque cimetière,

il faudrait aménager un caveau témoin.

On le louerait ante mortem

pour une courte villégiature :

le temps de s’adapter au décalage horaire,

de faire connaissance avec les riverains,

de prendre ses marques

– de faire son trou.

Pour une transition en douceur,

pour se faciliter la mort.

 

 

 

« Je demande, pour ma part, à être conduit au cimetière dans une voiture de déménagement. » (A. Breton, Manifeste du surréalisme, Pauvert)

 

 

 

 

LA MORT – NÉCROLOGIE

 

 

 

Avis de catastrophe naturelle 

J’ai appris ma mort fortuitement…

dans le dictionnaire.

 

 

 

« Ma mort n’aurait aucune importance sentimentale : ce serait une erreur technique compte tenu des livres qui me restent à écrire. Je ne me regretterais pas, je me dirais simplement que c’est une catastrophe naturelle. »  (J.-E. Hallier, 1936-1997)

 

 

 

Ce n’est que parvenu à la page 727

du roman de la langue française

de monsieur Émile Littré,

à peine guéri de la Morsure,

que j’ai appris la chose…

Ainsi, du seuil de l’Abaissement

aux portes de la Mortadelle,

j’aurai connu 726 pages

d’Insouciance.

 

 

 

« Tous les hommes sont mortels. »

Il ne pouvait pas garder ça pour lui,

Paul Robert ?!

Comment se passionner

désormais

pour une histoire

dont on connaît la fin ?

 

 

 

 

LA MORT – MORTALITÉ

 

 

 

« Sauf complications, il va mourir. » (J. Renard, Journal)             

 

 

 

Je vais mourir :

continuez sans moi…

 

 

 

« La fin du monde : ta mort. Et dans le même temps, j’éprouvais à quel point le monde allait continuer sans toi. » (A. Philipe, Le Temps d’un soupir, Julliard)

 

 

 

Si je n’apparais que furtivement

aux enterrements,

si je ne fais jamais

de vieux os

dans les cimetières,

c’est que je ne tiens guère

à me rappeler

au bon souvenir de la Mort.

 

 

 

Emboîtage

À trop suivre les enterrements,

à emboîter le pas aux cortèges,

on finit par se laisser entraîner

par la Mort.

 

 

 

Des concessions,

il y en a plein les cimetières,

mais la Mort n’en fait pas.

 

 

 

 

LA MORT – LIT CLOS

 

 

 

« Le lit est l’endroit le plus dangereux du monde : quatre-vingt-dix pour cent des gens y meurent. » (M. Twain, 1835-1910)

 

 

 

Comme on fait son lit, on se couche 

Il faudra que je pense

à réserver mon lit de mort.

Pour ma dernière apparition,

mon lit de toutes les nuits

ne fera pas l’affaire.

Le dernier meuble

avant le cercueil,

on ne le trouve pas en magasin…

 

Des lits de morts, il y en a ici,

à l’hôpital,

des lits de morts et d’agonisants,

à tous les étages,

et tristes à mourir ;

et qui se ressemblent tous

comme deux gouttes

d’une perfusion…

 

Je voudrais bien avoir le choix…

 

 

 

 

LA MORT – INSUBORDINATION                                                                                                                                   

 

 

 

« La mort ne m’aura pas vivant. » (J. Cocteau 1889-1963)

 

 

 

Surtout,

ne m’attendez pas

pour mourir.

 

 

 

Un précédent historique

à créer :

négliger de mourir.

 

 

 

« Tiens, Dupont-Delajatte est mort… C’est étonnant de la part d’un tel anticonformiste. » (J.-M. Kerleroux, dessin pour le Grand livre de l’humour noir, P. Héraclès)

 

 

 

La Promise

Quoi ? La Mort ?

Cette femme de mauvaise vie,

cette créature

qui se donne à tout le monde !

Ah ! ça, jamais !

Plutôt vivre !

 

 

 

Mauvais exemples

Mourir, quelle vulgarité !

Mourir, vous n’y pensez pas !

Laissons cela

à la masse docile, résignée ;

laissons cela

aux esprits terre à terre.

Au commun des mortels.

 

 

 

« La mort n’est que pour les médiocres. » (A. Jarry, Gestes et Opinions du docteur Faustroll, Fasquelle)

 

 

 

 

LA MORT – LA FEMME FATALE

 

 

 

Mourir, c’est succomber…

à la Tentation.

 

 

 

Epitaphe de Don Juan                                                                                                                                                                                                            Je meurs d’envie                                                                                                                                                                                                                    de vous connaître.                                                                                                                                                                                                                    (J.-P. Tandin 1942-2022)

 

  

 

Ruineuse maîtresse

Riches ou pauvres,

nous finissons tous fauchés

par la Camarde.

 

 

 

Le dernier pas   

Elle est là,

juste là,

au pied de la falaise.

Tu n’as qu’un pas à faire

et elle est à toi,

celle-là qui tombe

les hommes.

 

 

 

La Mort,

quelle carrière !

si elle avait un bon contact !

 

 

 

« La mort est belle, elle est notre amie ; néanmoins, nous ne la reconnaissons pas, parce qu’elle se présente à nous masquée et que son masque nous épouvante. » (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe)

 

 

 

 

LA MORT SANS PEINE                                                                                                                                                      

 

 

 

« La mort n’est qu’un banal incident, qui ne dure qu’un instant. Une affaire où l’on a plus de peur que de mal. » (S. Butler, 1835-1902).

 

 

 

Ne me parlez pas de mort violente,

c’est la vie qui est violente !

La placide Camarde

ne fait pas plus usage

de sa faux

que les gardes pontificaux

de leur hallebarde.

Tout se passe entre personnes

consentantes.

 

 

 

 

LA MORT – LA MORT EN DOUCE                                  

 

 

 

Enfin une contrée hospitalière !

 

 

 

 

Il y a deux mères :

celle qui se penche sur notre

berceau,

celle qui se penche sur notre

tombeau.

L’une nous aura porté des mois,

l’autre des années.

 

 

 

« C’est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre… » (Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, La Mort des pauvres)

 

 

 

 

LA MORT – LA FEMME FACILE

 

 

 

Cette fois,

je n’aurai pas à faire le premier pas.

 

 

 

La Vie ne sait pas dire

« oui ! »

La Mort ne sait pas dire

« non ! »

 

 

 

« Bah ! je ne laisse après moi que des mourants ! » (N. de Lenclos 1620-1705)   

 

 

 

Hâtez-vous de mourir

tant que c’est donné

à tout le monde !…

Ça ne durera pas.

 

 

 

Extrait de « Cent bonnes raisons pour me suicider tout de suite » (R. Topor 1938-1997)                                                                                        « La vie augmente, la mort reste abordable. »           

 

 

 

Étouffe-chrétien

Une vie sans issue

serait irrespirable

– plus suffocante encor

que l’enfer.

 

 

 

 

LA MORT – LA PEINE DE MORT                                                                                                                                   

 

 

 

Exemplarité de la peine

Nos morts, on ne les pleurera

jamais autant

qu’un condamné se pleure

– qu’il se « regrette » –

la veille de son exécution.

 

 

 

Il ne faut pas mourir !

Vous savez bien

que cela nous fait de la peine…

 

 

 

Elle est morte dans son sommeil,

mais dans le mien,

elle vit toujours.

 

 

 

Bien sûr, quand on est riche,

on peut se permettre

de perdre un être cher !

 

 

 

On ne meurt pas

de la mort des autres.

 

 

 

« Ce qui est effrayant dans la mort de l’être cher, ce n’est pas sa mort, c’est comme on en est consolé. » (H. de Montherlant, La Reine morte, Gallimard)

 

 

 

Je l’ai accompagnée

jusqu’à la gare, jusqu’au quai ;

mais je ne suis pas monté

dans le train.

J’ai juste foulé un instant

le marchepied de la mort.

 

 

 

Ce n’est pas le mort, qu’ils pleurent

–  lui qui s’esquive, se dérobe,

qui leur claque

le couvercle au nez –,

mais eux-mêmes,

abandonnés à leur triste sort ;

laissés pour vivants.

 

 

 

« Le chagrin pour les morts est une niaiserie. Une illusion également. C’est sur nous-mêmes que nous pleurons, sur le vide ou la privation qu’ils nous laissent. Eux, ils sont morts, c’est-à-dire : ils ne sont plus rien. Pleurer sur eux ne rime à rien. » (P. Léautaud, Passe-Temps, Mercure de France)

 

 

 

 

LA MORT – DERNIER DOMICILE CONNU  

 

 

 

L’allée simple.

L’allée sans retour.

Le gravier

et puis la pierre.

Le mort qu’on descend à la cave.

Et les proches qui s’éloignent

– pourtant.

Inhumer,

c’est inhumain.

 

 

 

Cadavres ingrats,

trop chers disparus :

pas un

pour donner signe de mort !

Et l’angoisse des familles…

Ah ! on les a vite enterrés,

les vivants !

 

 

 

Rire de mourir

C’est Alberto Sordi

– ce Monstre

qui a raison :

les morts,

il ne faut pas les pleurer :

il faut les rire !

 

 

 

 

LA MORT FAMILIÈRE

 

 

 

Madame Sans-Gêne                     

Elle te tourne autour, elle te frôle,

elle te sourit.

Elle sort avec tes copains.

Elle s’invite à ta table…

Il arrive un moment où la Mort ne se gêne plus.

 

 

 

 

LA MORT – LA MORT ÉTERNELLE

 

 

 

« Ce n’est pas tout de mourir, il faut mourir à temps. » (J.-P. Sartre, Les Mots, Gallimard)

 

 

 

Les vieux

ne veulent plus se coucher !

Les vieux persistent et se signent.

Les vieux s’éternisent :

la mort lente,

à petit feu, à petites cendres.

 

 

 

À propos de la mort de François Mauriac à 85 ans « Il a bien l’âge de mourir. La mort d’un vieillard, à peine une mort. » (S. de Beauvoir 1908-1986)

 

 

 

L’âge ultime : cent ans…

et des poussières.

 

 

 

« La mort, ce changement d’état si marqué, si redouté, n’est dans la nature que la dernière nuance d’un état précédent. » (Buffon, Histoire naturelle, L’Homme)

 

 

 

J’ai frôlé la mort ;

je peux vous le dire :

ça ne sentait pas le chrysanthème !

 

 

 

Oh ! ces extrêmes vieillards !

cadavres déambulants,

dépouilles immortelles

– gisement à ciel ouvert !

On gagnerait

à délivrer plus facilement

le permis d’inhumer.

 

 

 

« On dirait quelqu’un qui a oublié de se faire enterrer. » (H. de Montherlant, Vues sur le théâtre)               

 

 

Cet âge critique

où l’on tombe dans l’oubli…

Où les autres vous oublient ;

où l’on s’oublie soi-même…

Où même la mort

semble vous oublier.

 

 

 

« Une femme de quatre-vingt-dix ans disait à M. de Fontenelle âgé de quatre-vingt-quinze ans : « La mort nous a oubliés. — Chut ! » lui répondit M. de Fontenelle. » (Cité par Chamfort, Maximes et Pensées)

 

 

 

On ne pense pas assez à la Mort…

La pauvre Camarde ne sait plus

où donner de la faux.

Ça grouille, ça pullule ;

chaque jour,

de nouveaux arrivants

qu’il faudra bien

faire passer de vie à trépas !

La Mort fatigue, la Mort peine :

c’est qu’elle n’a plus vingt ans !

Elle ne tient pas la cadence.

Et nos vieillards

restent sur leur fin.

 

 

 

Sentant

que cela va se gâter,

tirer sa révérence.

Mourir avant la fin.

 

 

 

 

LA MORT – DEVANCER LA BELLE

 

 

 

Mais réussir sa vie ne consolera jamais d’avoir raté sa mort.

 

 

 

« Beaucoup plus facile d’admettre le suicide de quelques-uns que l’obstination de la majorité à vivre. » (J.-C. Brisville, Inédit)

 

 

 

 

LA MORT – LE COUP DE GRÂCE

 

 

 

Gardez-nous

de ceux qui s’acharnent

à nous compliquer la vie,

plutôt que de ceux

qui s’évertuent

à nous faciliter la mort.

 

 

 

Parvenu tout au bord,

vouloir seulement

qu’on nous donne la mort

comme on nous a donné la vie.

Attendre son donneur.

 

 

 

 

LA MORT – DERNIERS OUTRAGES            

 

 

 

Et définitivement vaincu,

humilié, mortifié ;

il s’en va, l’homme,

sans demander ses restes.

 

 

 

« Ignorez-vous que dans le dernier voyage, il n’y a pas de voyageur ? » (R. Judrin 1909-) 

 

 

 

Dernier hommage

ou derniers outrages ?

Le défunt – indigne à l’évidence

de recevoir quiconque –,

le cadavéreux

exposé comme pour l’exemple…

Et certes le spectacle est dissuasif.

Paix ! Paix à nos cendres !

 

 

 

« Être mort, c’est être en proie aux vivants. » (J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard)

 

 

 

Vert et pourtant trop mûr,

débraillé, dépenaillé, décomplexé,

mort à faire peur :

voici l’abominable homme

de cendres.

 

 

« Les morts vieillissent mal. » (Frédéric Dard, Pensées, Cherche-midi)

 

 

 

Belle comme au dernier jour…

La morbide espèce !

qui le livide exhibe

et voile le vermeil.

 

 

 

Fraîchement mort,

« cueilli du jour »,

et déjà les importuns

qui se pressent :

la famille, les voisins, les amis,

le curé, le thanatomachin,

quand ce n’est pas le légiste…

L’art d’incommoder les restes.

 

 

 

Tout finit par des chansons…

Quand bêle le noir troupeau

les chansonnettes à bon Dieu,

le pot-pourri pour les veillées,

approchez-vous du mort

sur son lit de parade,

et vous recueillerez

sa première volonté :

disparaître !

ne plus être en vie !

 

 

 

« Être en vie — tout à coup je suis frappé par l’étrangeté de cette expression, comme si elle ne s’appliquait à personne. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard) 

 

 

 

Pour une mort en douce,

un adieu furtif,

un enterrement à la cloche de bois.

Pour une fin de non-recevoir.

 

 

 

« Ne m’enterrez pas en grande pompe, mais à toute pompe. » (S. Gainsbourg 1928-1991) 

 

 

 

 

LA MORT – VEILLÉE FUNÈBRE

 

 

 

« Veille un mort, et tu sauras ce que l’aube signifie ! » (Frédéric Dard, Pensées, Cherche-midi)

Triste Cire

Il a le visage fermé,

les lèvres pincées,

les mains jointes, soudées

– lui qui nous accueillait toujours

à bras ouverts.

Il n’a même pas daigné

nous faire asseoir…

C’est fini ! Nous ne le verrons plus !

 

 

 

L’ex

Engoncé dans son cercueil,

il attendait, impassible,

l’heure de la fermeture.

On ne voyait guère plus loin

que le bout de son nez

qui luisait dans la molle pénombre.

Tout ce qui brille

n’est pas mort.

 

 

 

Dames de compagnie

ou les vieilles de la veille

Quand le veillé s’est éteint,

et que seules les veilleuses

restent allumées…

 

 

 

 

LA MORT – ENCENSOIR

 

 

 

« La plus grande charité envers les morts, c’est de ne pas les tuer une seconde fois en leur prêtant de sublimes attitudes. La plus grande charité, c’est de les rapprocher de nous, de leur faire perdre la pose. » (F. Mauriac, La Vie de Racine, Plon)

 

 

 

Pourquoi

cette déplorable habitude

d’encenser les morts ?

Avez-vous si peur

qu’ils vous attendent

à la sortie ?

 

 

 

D’oraison se garder

À chaque éloge funèbre,

me prend l’envie

d’allumer un contre-feu.

 

 

 

Le maître d’autel :

« Mon Dieu, permettez-moi

de vous recommander

le mort du jour ! »

Mais Dieu préfère la carte :

il sait que plus l’éloge est appuyé,

moins le mort

est recommandable.

 

 

 

 

LA MORT – À CHACUN SON TROU 

 

 

 

« C’est un trou de verdure où chante une rivière […]                                                                                                                                                          Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »                                                                                                                                                              (A. Rimbaud, Le Dormeur du val)

 

 

 

Tirage au mort

À qui le trou ?

Trou trou, ce sera toi

qui ira dans l’trou.

 

 

« Et on m’mettra dans un grand trou

Et j’n’entendrai plus parler d’trou, plus jamais d’trou

De petits trous, de petits trous, de petits trous… »

(S. Gainsbourg, Le Poinçonneur des Lilas, B. Vian ?)

 

 

 

 

La vie, à la longue…

ça creuse.

 

 

 

J’avais un trou

dans mon emploi du temps :

le voilà comblé.

Et moi tout au fond.

 

 

 

Ce n’est que cela, rien que cela,

finalement, un homme :

un bouche-trou.

 

 

 

                    Signifier

Seul le fossoyeur sait vraiment

ce que descendre un homme

                    signifie

                    signifie

                    signifie

                    signifie

                    signifie

                    signifie

 

 

 

 

LA MORT – DANS LA MORT COURANTE

 

 

 

« La mort, ce secret qui appartiendra à tout le monde. » (C. Aveline, Avec toi-même, Pégomancie, Mercure de France)

 

 

 

On croit rêver,

mais on ne rêve pas :

on est bien mort.

 

 

 

« Coma : La mort comme si vous y étiez. » (S. Mirjean) 

 

 

 

Jour de fête

Pour l’occasion,

toiletté de frais,

il a revêtu ses habits du dimanche.

Roides habits

d’un sombre dimanche,

car le cœur n’y est plus !

Plus à rire, à chanter

– à danser.

Les morts ne sont pas heureux !

 

 

 

 

Échos de la mort 

– Comment vont vos morts ?

– Pas mieux :

ils sont toujours couchés…

 

 

 

 

LA MORT EN QUITTANT CETTE VALLÉE DE LARVES

 

 

 

« Invoquer la postérité, c’est faire un discours aux asticots. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit)

 

 

 

Les vers à soi

Arrivé nu comme un ver,

on s’en ira

– plus nu encore :

comme des milliers de vers.

 

 

 

« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride                                                                                                                                                   D’où sortaient de noirs bataillons                                                                                                                                                                                     De larves, qui coulaient comme un épais liquide                                                                                                                                                             Le long de ces vivants haillons. »                                                                                                                                                                                       (Ch. Baudelaire, Une Charogne, Les Fleurs du mal)

 

 

 

Je réclame une mort

sans cadavre,

comme il y a des mariages

sans enfant.

 

 

 

« En somme la mort, c’est un peu comme un mariage. » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit)

 

 

 

Mon Dieu,

ne nous soumets pas

à la déchéance,

mais délivre-nous

de ce sommeil agité

– grouillant –,

de cette immonde agonie

post mortem.

 

 

 

 

LA MORT – LE TESTAMENT DE L’APHORISTE

 

 

 

Pour ne pas moisir ici,

j’ai choisi d’être incinéré :

demain, je pars avec la caisse,

je prends la poudre d’escampette.

 

 

 

Pot-pourri                                         

Ma dernière volonté :

que dans l’urne on recueille

le meilleur de mes cendres :

quelques pincées choisies,

poudreuse anthologie,

florilège de poussière.

 

 

 

 

 

 

DERNIÈRES NOUVELLES

 

 

 

 

DERNIÈRES NOUVELLES

 

 

 

Une dépêche

tombe à l’instant.

Une bien mûre, évidemment.

 

 

 

Les détenus ont fait le mur

un soir où il tombait

des cordes.

 

 

 

 

Règlement de comptes

entre fées et apothicaires.

 

 

 

 

Un déséquilibré a tué

deux passants…

en tombant de son perchoir.

 

 

 

Happé par un train fou

arrivé sans crier gare.

 

 

 

Le délinquant routier

a été libéré

pour bonne conduite.

 

 

 

Quand on a arrêté Minuit,

il en était déjà

à son douzième coup.

 

 

 

Le coupable court toujours…

mais la victime

est dans un fauteuil roulant !

 

 

 

Mains de fer

dans gants de latex,

les femmes de ménage

ont rétabli l’ordre.

 

 

 

Vague à lame

Le noyé était au bout

du rouleau.

 

 

 

Nouvelles de Corse

Des plastiqueurs arrêtés

en flagrant délit.
Que fait la police ?

 

 

 

Fraude à l’assurance retraite.

Stupéfiante arrestation

d’un Arrco trafiquant.

 

 

 

Couverture

Sous le manteau,

l’exhibitionniste pratiquait

la vente à la sauvette.

On lui a confisqué

sa marchandise.

 

 

 

Filles de colère

Le gouvernement projette

d’interdire la prostitution :

les péripatéticiennes

sont dans la rue.

 

 

 

À moitié pardonné

L’hémiplégique,

qui avait assassiné sa moitié

a été libéré à mi-peine.

 

 

 

Une rouste pour une brune

Passé à tabac

pour une cigarette.

 

 

 

Amitié virile

Saoulée de coups

par ses deux compagnons

de beuverie,

la victime a perdu connaissance,

mais gagné deux amis.

 

 

 

Drame de la pauvreté

Il brûlait ses enfants

avec ses mégots,

trop misérable pour se payer

un cendrier.

 

 

 

 

NOUVELLES DE LA ROUTE

 

 

 

Lourds-légers

Rencontre déséquilibrée

entre un poids lourd

et un deux-roues :

le deux-roues au tapis

dès la première reprise.

 

 

 

 

 

NOUVELLES FROIDES

 

 

 

Le sabotage

d’une remontée mécanique

à la station de ski de Megève,

– dont le bilan provisoire

est de trois morts et cinq disparus –,

vient d’être revendiqué

par un groupuscule tropdeskiste.

 

 

 

 

NOUVELLES BRÈVES

 

 

 

Le Bourhis,

à la 75ème minute.

 

 

 

Judas,

contre son camp.

 

 

 

 

NOUVELLES LONGUES

 

 

 

Armés jusqu’aux dents de lait

C’est en cherchant dans son cartable

son livre d’éducation civique,

que l’élève de primaire H. Smith

a appuyé malencontreusement

sur la détente de son 357 Magnum

(que ses parents avisés lui avaient confié

pour qu’il n’aille pas tout nu à l’école),

pulvérisant la tête,

manifestement bien pleine,

de son voisin, l’élève D. Wesson.

Pensant à une agression,

chacun dans la classe a alors sorti son arsenal

pour prendre part au carnage…

« Plus jamais ça ! »,

protestent à présent les ex-parents d’élèves

(il n’y a eu aucun survivant).

Ils viennent d’être entendus par la direction de l’école

qui a décrété que désormais,

par mesure de sécurité, dès la maternelle,

chaque élève devrait porter religieusement autour du cou

un chapelet de grenades.

 

 

 

Le mur de la chance 

Le 11 novembre 1989,

le célèbre violoncelliste russe Mstislav Rostropovich

donnait les suites de Bach

lors d’un concert improvisé au pied du Mur de Berlin…

Ce qu’on ne sait pas,

c’est qu’à peine quarante-huit heures plus tôt,

ce mur bâti il y a vingt-huit ans

venait de s’effondrer.

On mesure l’ampleur de la catastrophe

que l’on a frôlée ce jour-là,

dans la future capitale de l’Allemagne réunifiée.

 

 

 

 

 

 

ARRIÈRE–PENSÉES

 

 

 

 

ARRIÈRE–PENSÉES

 

 

 

Absence justifiée

Cloué au fond de son cercueil

par une bonne crève,

il s’est fait porter pâle.

 

 

 

À l’hypotal

Je vais subir l’ablation de l’hypoténuse,

mais je ne m’en fais pas :

comme l’a dit le chirurgien

pour me rassurer,

il me restera encore

deux côtés.

 

 

 

Argent mécontent 

Moi, les riches, les opulents,

je vais leur dire ma façon

de dépenser !

 

 

 

Ascension sociale

C’était un p’tit gars

d’Chamonix

qui voulait monter sur Paris.

 

 

 

Aube nouvelle

Quand les poules auront des dents…

alors les coqs déchanteront.

 

 

 

La Balle aux condamnés

La balle est dans le camp

des fusillés.

 

 

 

Biotype

Les pro-bio,

naturellement,

sont contre les antibios.

 

 

 

Bouchers doubles

Il y a des bouchers-charcutiers,

et des chirurgiens-dentistes…

Mais aussi

des dentistes-charcutiers

et des chirurgiens-bouchers !

 

 

 

Cendres froides

Depuis qu’elle s’est éteinte,

depuis qu’il a cassé sa pipe…

ils ont arrêté de fumer.

 

 

 

Chaussure à son pied

Je lui ai proposé la botte :

elle m’a soumis

le talon aiguille.

 

 

 

Contre-indication

Les indicateurs au poteau !

 

 

 

Emplettes à la Pyrrhus

J’ai acheté des lunettes

qui m’ont coûté

les yeux de la tête,

un pantalon qui m’a coûté

une jambe,

et un caleçon qui m’a coûté

la peau des fesses.

 

 

 

Feu d’artifices

J’ai une jambe artificielle,

un poumon artificiel,

un anus artificiel

– mais des besoins naturels.

 

 

 

Fin de vit

De moins en moins

de membres actifs

à l’amicale des seniors.

 

 

 

La France pleure

Journée de deuil national :

« En larmes citoyens ! »

Même les programmes

sont bouleversés.

 

 

 

Frères de sans

Certes, les sans-papiers,

les sans-abri, les sans-emploi,

les sans-dents…

Mais aurez-vous jamais une pensée

pour les sans-pitié ?

 

 

 

Gazon

Il est moins déplaisant

d’être tiré de sa sieste

par le bruit

d’une tronçonneuse,

que par son contact.

 

 

 

Genèse

Et Dieu créa la femme :

une croqueuse de pomme

légère et court-vêtue

qu’il baptisa Ève.

Le premier homme n’aurait rien de mieux

à se mettre sous l’Adam.

 

 

 

Gourmandise

J’ai une faim de loup,

mais je saurais me contenter

d’un berger allemand.

 

 

 

Haute saison

C’est au printemps surtout,

que les nains

sont mal dans leurs os :

lorsque les jours allongent.

 

 

 

Hiroshima… connais pas !

Que dire de ces inconscients

qui font la bombe,

alors qu’il y a tant

de sans-abri !

 

 

 

Hors de portée

Le prix de la baguette

a encore augmenté :

il n’y aura bientôt plus

de chefs d’orchestre !

 

 

 

Jeux de nains, jeux de vilains

Escalade dans l’ignominie :

après le lancer de nains,

le commerce de gros.

 

 

 

Négociations grammaticales

Nous avons obtenu

l’accord de l’adjectif

et la signature du nom,

mais le verbe a refusé

toute proposition.

 

 

 

Oculisme

Les cuvettes des toilettes,

on a pris soin

de les équiper de lunettes.

Ce qui n’empêche pas certains malotrus

de faire à côté.

 

 

 

L’ordre du jour

Matin, midi et soir.

(Jusqu’à nouvel ordre.)

 

 

 

Orgueil mal placé

Certes, en vieillissant,

on devient sourd, aveugle,

grabataire, incontinent…

Mais au moins peut-on dire

sans mentir

qu’on en a dans le pantalon !

 

 

 

Les papillons de complaisance

J’allais sur le sentier,

folâtrement accompagné

par un gracieux papillon…

Quand il a bifurqué,

un autre l’a remplacé,

à l’aile levée,

puis un troisième, un quatrième

qui se sont relayés,

sur le sentier,

pour m’aider à boucler

mon quatre fois cent mètres

papillon.

 

 

 

Pêche à la mouche et aux cucurbitacées

On ne prend pas les mouches

avec du vinaigre…

mais on prend les cornichons.

 

 

 

Perdu de vue

J’ai perdu un œil à la guerre.

Et comme on a perdu la guerre…

je n’ai plus qu’un œil

pour pleurer.

 

 

 

Pestilence

Mes dents se déchaussent,

et ça sent fort,

comme les pieds.

 

 

 

Pince-sans-rire

On prend le thé dans un salon,

dans une tasse,

dans l’après-midi,

avec du sucre, du lait,

des madeleines, des amies…

le sucre

avec une pince à sucre

– comme on prend le vélo

avec des pinces à vélo.

 

 

 

Les plaisirs du Palais 

Félix, Valéry, Jacques,

François et François,

Nicolas :

la Fonction crée l’orgasme.

 

 

 

Les poètes maudits

Saint-John Perse :

enfin !

 

 

 

Porte-à-faux

Il faudrait en finir

une bonne fois pour toutes

avec cette déplorable habitude

de sortir par la porte d’entrée.

 

 

 

Portrait arraché

J’ai le nez de mon père

et les oreilles de ma mère ;

mais ça n’a pas été sans mal.

 

 

 

Révolution de palais

La moutarde

n’est pas à prendre

avec des pincettes,

la salière a annexé le poivrier,

cuillères et fourchettes

sont à couteaux tirés,

les serviettes

ne veulent plus servir,

les sous-plats

exigent une promotion,

les verres à pied

refusent de marcher,

Les assiettes plates

voudraient se faire opérer…

Nous n’arrivons plus,

nous n’arrivons plus

à dresser la table !

 

 

 

Les risques du métier

Faux-monnayeurs,

que ne fabriquez-vous

de la vraie monnaie !

 

 

 

                     Sapin

                 mon beau

Mon beau sapin

déraciné, assassiné,

sacrifié comme la dinde à Noël…

Mais avec la suprême consolation

d’être décoré à titre posthume.

 

 

 

Triste sire

Il a écopé de 75 années de prison.

Ça lui a fait beaucoup de peine…

 

 

 

Une plombe de retard

Le plombier est arrivé trop tard :

le voleur avait pris la fuite !

 

 

 

Vie à crédit

Avec cet air emprunté

qu’il ne rend jamais…

 

 

 

Voyageur sans bagage

Le coffre s’est fait la malle.

Il l’a bientôt abandonnée

avec ses deux petites mallettes

pour partir avec la caisse ;

avant de se faire la valise,

qu’il a laissée sur le quai.

 

 

 

 

 

 

ARRIÈRE–ARRIÈRE–PENSÉES

 

 

 

 

ARRIÈRE–ARRIÈRE–PENSÉES

 

 

 

Les grands moyens,

ne seraient-ce point les extrêmes ?

 

 

 

Plus difficile

que de chercher une aiguille

dans une botte de foin :

la trouver.

 

 

 

Qui a raison ?

La vaisselle,

qui se lave et puis s’essuie ?

ou l’affront,

qui s’essuie et puis se lave ?

 

 

 

Si vous voulez connaître ma position

Ce qu’il y a de bien

avec les chaises,

c’est qu’on peut s’asseoir dessus.