Où je pense (I)
(EXTRAITS)
À qui voudra
Pour mieux dire au lecteur sa façon de penser,
l’auteur a ajouté quelques citations en regard de ses aphorismes.
AVERTISSEMENT
Attention !
Le texte est profond
par endroits.
LE TRAVAIL
LE TRAVAIL – OBLIGATION CIVILES
Le travail,
le travail forcé :
une peine incompressible
– mais extensible –
de quarante années
pour payer sa dette
à la société.
« Le propre du travail, c’est d’être forcé. » (Alain, les Arts et les Dieux, Gallimard)
Traqué par les chasseurs de têtes
Il y a un contrat sur vous :
un contrat à durée
indéterminée…
Je n’aimerais pas
être à votre place.
LE TRAVAIL – DÉPENDANCE
Il est passé aux drogues dures :
il a sombré
dans le travail.
« Le boulot, c’est un truc qu’y vaut mieux commencer jeune. Quand tu démarres tout môme, c’est comme si t’étais né infirme : tu prends le pli, t’y penses plus. Remarque que t’as peut-être raison d’essayer. De toute façon, dans la vie, faut tout connaître ! » (M. Audiard, Mélodie en sous-sol, M. Biraud, Audiard par Audiard, Édit. René Chateau)
Tripalium
Ça commence véniellement
par de l’intérim, du saisonnier,
un job qu’on prend par-ci par-là
pour faire comme les copains…
Puis on s’accoutume,
on y prend goût,
on augmente les doses,
– dangereusement –
jusqu’à l’ultime, jusqu’au terrible CDI !
Mais gare au manque
le jour où le dealer
cesse de vous approvisionner !
« Le travail est quelque chose de semblable à la mort. C’est une soumission à la matière. » (S. Weil, La connaissance surnaturelle, Gallimard)
Vie libre
Aux Travailleurs anonymes,
on ne se résigne pas :
on sait que la guérison est possible,
que licenciement et chômage
ne sont pas folles chimères.
« A cet ami qui me dit s’ennuyer parce qu’il ne peut pas travailler, je réponds que l’ennui est un état supérieur, et que c’est le rabaisser que de le mettre en rapport avec l’idée de travail. » (E. Cioran, Écartèlement, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
LE TRAVAIL – L’OCCUPANT
Travailler !
Se rendre utile…
L’ignoble capitulation !
« Être un homme utile m’a toujours paru quelque chose de bien hideux. » (Ch. Baudelaire, Mon cœur mis à nu)
« Arbeit mach besetzt »
Sous l’Occupation,
le travail était obligatoire.
Ceux qui n’avaient pas
d’occupation,
on les appelait
« les Français libres ».
Congé annuel
Rituellement,
le premier mai de chaque année,
la travailleuse et le travailleur
posent la faucille
et le marteau,
pour s’en aller batifoler
par les champs
et par les usines.
LE TRAVAIL – HARCÈLEMENT
Le salaire de la peur
Ça s’est passé
comme je vous le dis,
monsieur le juge :
l’accusé,
avec ses airs de saint patron,
m’a entraînée dans son bureau.
Là, sans préliminaires,
il s’est mis à examiner
mon curriculum vitae
sous toutes les coutures :
j’étais gênée.
Puis le rustre a prononcé
des mots obscènes
que j’ose à peine vous répéter :
« horaire », « cadence »,
« rendement » …
Enfin, perdant tout contrôle,
il m’a proposé la Chose !
J’ai voulu m’enfuir,
le butor a tenté de me retenir,
lâchant,
comme un baroud d’horreur,
un ultime gros mot :
« salaire » !
« Tirer de soi toute la mouture qu’on en peut tirer, voilà ce qui devient la règle du monde. L’idée que le noble est celui qui ne gagne pas d’argent, et que toute exploitation commerciale ou industrielle, quelque honnête qu’elle soit, ravale celui qui l’exerce et l’empêche d’être du premier cercle humain, cette idée s’en va de jour en jour. Voilà ce que produit une différence de quarante ans dans les choses humaines. Tout ce que j’ai fait autrefois paraîtrait maintenant acte de folie, et parfois, en regardant autour de moi, je crois vivre dans un monde que je ne reconnais plus. » (Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Calmann-Lévy)
LE TRAVAIL – SITUATIONS
« Pour entrevoir l’essentiel, il ne faut exercer aucun métier. Rester toute la journée allongé, et gémir… » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Ils arborent leur profession
comme un insigne honneur,
une rosette à la boutonnière.
Pour moi,
le travail fera toujours tâche.
Incorruptible
Travailler, moi ?
Pour rien au monde !
Pas même
pour de l’argent.
« Le renoncement est la seule variété d’action qui ne soit pas avilissante. » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Moi, je suis
intermittent du commerce :
vendeur de muguet du 1er mai.
En activité
le jour de la fête du travail,
au chômage partiel
le reste de l’année.
Il y en a
qui sont prêts à travailler,
à accepter n’importe quoi
pour vivre.
Moi, par chance,
je peux très bien me passer
de vivre.
« Je ne fais rien, c’est entendu, mais je vois les heure passer — ce qui vaut mieux que d’essayer de les remplir. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
LE TRAVAIL – HAUTS ET BAS
L’ascenseur social
est resté bloqué.
Ceux du dernier étage
ont oublié de le renvoyer.
Dévissage social
Quand ils l’ont licencié,
ils lui ont dit :
« Nous sommes sûrs
que vous allez rebondir ! »
Il n’a pas rebondi ;
il s’est écrasé
– salement –
cinquante étages plus bas :
un gratte-sol
au pied du gratte-ciel.
Ça n’est vraiment pas beau à voir,
une compression de personnel.
LE TRAVAIL – RÉSISTANCE ET COLLABORATION
Ils ont pris leur retraite,
les syndicats,
plié banderoles,
rangé braseros et mégaphones
– une retraite bien méritée –,
trouvé, sous les pavés, la plage :
la grève illimitée.
Il n’en reste qu’un en activité,
il porte bien son nom :
le syndicat d’initiative.
« À peine au sortir de l’enfance, et même un peu avant, il avait mis en pratique ses théories sur la méprisabilité du travail (…) La manifestation de ces farouches révolutionnaires qui réclamaient huit heures de travail par jour lui arracha de doux sourires, et il félicita de tout son cœur les gardiens de la paix (sic) qui assommèrent ces formidables idiots. » (A. Allais, À se tordre, Anthumes I)
Au sein de nos entreprises,
il faudrait
moins de collaborateurs,
et plus de résistants !
LE TRAVAIL – DÉLIVRANCE
Abolir la prostitution :
le beau, le noble,
l’ambitieux projet !
Pour faire cesser
l’avilissant commerce.
Pour en finir avec le travail.
Rouge occupé
Pourquoi cette banderole :
« Usine occupée » ?
L’usine, avant, elle était libre ?
Ce n’est pas l’usine
qu’il faut occuper,
c’est le travailleur
qu’il faut libérer.
« Une étrange folie possède la classe ouvrière des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion furibonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. » (P. Lafargue, Le Droit à la paresse, Réfutation du droit au travail de 1848, Oriol)
Ce matin,
les Travailleuses ont claqué
la porte de l’usine.
Elles ont plaqué le Travail
comme un mari abusif,
et repris leur nom de Jeune Fille.
« Les pauvres croient […] que le travail ennoblit, libère. La noblesse d’un mineur au fond de son puits (…) les frappe d’admiration. « Moi, je travaille », déclarent-ils, avec une fierté douloureuse et lamentable. La qualité de bête de somme semble, à leurs yeux, rapprocher de l’idéal humain. Il ne faudrait pas aller leur dire que le travail n’ennoblit pas et ne libère point ; que l’être qui s’étiquette Travailleur restreint, par ce fait même, ses facultés et ses aspirations d’homme ; que, pour punir les voleurs et autres malfaiteurs et les forcer à rentrer en eux-mêmes, on les condamne au travail, on fait d’eux des ouvriers. » (Georges Darien, La Belle France, Stock 1901)
LE TRAVAIL – DÉLOCALISATION
Je serais curieux de savoir
si le paradis ressemble
à la Côte d’Azur :
avec du soleil, des caniches
et des retraités…
Ou s’il y a, comme ici-bas,
« pour faire tourner
la boutique »,
des travailleurs
et des travailleuses,
des heures supplémentaires,
des cadences célestes.
LE TRAVAIL – ÉPILOGUE
Ramenons le travail
à ce qu’il n’aurait jamais dû
cesser d’être :
un loisir.
« Dans toute l’Antiquité indo-européenne, la hiérarchie des castes (prêtres, guerriers, agriculteurs ou éleveurs) avait laissé le travail à une place subalterne. Platon nourrissait même pour lui une sorte de mépris aristocratique, et Aristote déclarait : « La cité organisée appartient à ceux qui ne travaillent pas nécessairement pour vivre. » (Raymond Abellio, Les Militants, Gallimard)
DIEU
DIEU ?
Dieu !
Voilà un emploi fictif !
Comment dites-vous ?
Dieu ??…
Non, vraiment,
ce nom ne me dit rien.
Dieu ?
Oui, peut-être ?…
Pourquoi pas ?…
Mais je n’en mettrais pas
ma main à clouer !
Dieu n’existe pas.
Tout l’affirme.
Tout le crie et le clame
et le hurle !
Mais Dieu se fout de tout…
DIEU – GÉOLOCALISATION
Dieu sait où est Dieu !?
Où l’avez-vous trouvé,
votre Dieu,
perché sur son nuage
– comme le Christ sur la croix –,
au décrochez-moi-ça ?
Moi, je saurai contraindre Dieu
à se révéler :
je lui recommanderai mon âme
avec accusé de réception.
« Si seulement Dieu voulait m’adresser un signe de son existence… S’il me déposait un bon paquet de fric dans une banque suisse, par exemple ! » (Woody Allen, Dieu, Shakespeare et Moi, Solar, Points)
DIEU – L’HOMME EN BLANC
Bien dire
et laisser mal faire
Dieu est un arbitre
qui ne siffle jamais.
Pâle figure
Dieu est fade
comme une image,
inodore comme un pet d’enfant de chœur.
Dieu est fade
comme une hostie.
« On a beaucoup parlé de la face de Dieu, jamais de son profil. » (J.-C. Brisville, Inédit)
DIEU – L’ÉTRANGER
Le Seigneur n’est pas avec nous…
… Il est de l’autre côté.
Dieu n’a pas les pieds sur terre.
Mon Dieu,
passé l’état de grâce,
nous sommes devenus peu à peu
étrangers
l’un aux autres.
DIEU – LE RESPONSABLE
S’il y en a bien un
qui est parti de Rien…
Dieu n’est plus crédible.
Sa créature ayant failli,
il aurait dû se démettre :
« J’assume pleinement
la responsabilité de cet échec
et j’en tire les conclusions
en me retirant de la vie céleste. »
Mais trop vieux, le Dieu,
pour quitter son poste
haut placé,
renoncer à son logement de fonction,
à sa domesticité,
déchoir,
tomber des nues.
Les rois déchus,
les dieux devaient suivre.
DIEU – LES ESPRITS FAIBLES
« Dieu ne nous remplit qu’autant que nous sommes vides. » (H. de Montherlant, Port-Royal, Gallimard)
D’abord le paralytique,
puis tous,
les uns après les autres,
il les a fait marcher.
Que Dieu nous préserve de la foi !
« Peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croie pas en lui. » (A. Camus, La Peste, Gallimard)
Mon Dieu,
pour vos beaux cieux,
on se damnerait.
Louons le Seigneur…
puisqu’on ne peut l’acheter.
« L’amour ou la haine que nous lui portons [à Dieu] révèle moins la qualité de nos inquiétudes que la grossièreté de notre cynisme. » (E. Cioran, La Tentation d’exister, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Le Pari de Pascal
On ne croit pas en Dieu :
on mise sur Dieu.
On le voit à l’arrivée.
« Dieu est ou il n’est pas. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer […]Dès lors, supposons que nous ayons parié pour l’existence de Dieu. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. » (Pascal, Pensées)
Le pari de Mme de Boufflers (1725-1800)
« Ci-gît dans une paix profonde, Une dame de volupté Qui, pour plus de sécurité, Fit son paradis en ce monde. »
DIEU – LES ESPRITS FORTS
« Il n’acceptait pas de vivre à la remorque de Dieu. » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Athée je suis,
par la grâce de Dieu.
« Au fond, Dieu veut que l’homme désobéisse. Désobéir, c’est chercher. » (V. Hugo, Tas de pierres, Édit. Milieu du monde)
Mon Dieu !
je ne demanderais qu’à croire ! …
Mais parmi tous ces Dieux,
lequel est le Bon Dieu ?
« Est-il concevable d’adhérer à une religion fondée par un autre ? » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
J’ai écouté religieusement
tous les prêchi-prêcheurs,
les meilleurs apôtres…
Et toujours j’attends
la Révélation.
Peut-être,
une autre
foi ?
« Il n’est rien de plus grand que l’homme sans Dieu qui, seul, sans espoir de « compensation » ni de récompense, se maintient l’esprit juste et le cœur pur. » (C. Aveline, Avec toi-même, Mercure de France)
« Je n’ai jamais tué, jamais violé non plus, Y a déjà quelque temps que je ne vole plus, Si l’Eternel existe, en fin de compte, il voit Qu’je m’conduis guèr’ plus mal que si j’avais la foi. » (G. Brassens, Le Mécréant)
DIEU – PASSIONNÉMENT
C’est ma foi, c’est ma foi,
c’est ma très grande foi.
« Crucifils »
Christ n’est pas mort en Golgotha
pour sauver les hommes,
mais pour leur montrer le chemin
de croix.
A souffert l’homme en croix,
souffrira l’homme qui croit.
Jésus parmi les seins
Jésus mort sur la croix,
Jésus, sur toi, repose,
les pieds à ton nombril,
la tête entre tes seins.
Vos tétons sont des clous.
Cette parole au Christ en croix
Jésus, aime-moi !
Jésus, prends-moi
dans tes bras.
Jésus, laisse-moi
me pendre à ton clou.
DIEU – À LA FOLIE
Plus on est de fous,
plus on prie.
Il y a cent fois moins à craindre
d’un homme de peu de foi
que d’un homme de trop de foi.
« Rien n’est plus dangereux qu’une idée, quand on n’a qu’une idée. » (Alain, Propos sur la religion, P.U.F.)
Un barbu, c’est un barbu.
Trois barbus,
c’est une révolution !
« Un barbu c’est un barbu. Trois barbus, c’est des barbouzes ! » (M. Audiard, Les Barbouzes, L. Ventura, Audiard par Audiard, Édit. René Chateau)
La parole
qui fanatise les foules :
« Vous l’emporterez au paradis ! »
« Quand Dieu se tait, on peut lui faire dire ce qu’on veut. » (J.-P. Sartre, Le Diable et le Bon Dieu, Gallimard)
DIEU – COUPS DE PIED AU CULTE
Achat – vente – location
Préférant devenir riche
comme Crésus,
plutôt que pauvre comme Job,
Judas a vendu le Christ qui,
pour une bouchée de pain bénit,
avait racheté les hommes ;
lesquels, depuis, louent
– modérément – le Seigneur.
Je ne l’ai jamais emprunté,
le fameux chemin de croix,
mais ce que je crois savoir,
c’est que le dénommé Jésus-Christ
a dû faire treize stations
avant d’en trouver une ouverte.
Parmi les pipoles,
il y a des gens simples, disponibles,
proches de leur public ;
et d’autres hautains,
condescendants…
Tenez, le Christ sur sa croix,
n’espérez pas qu’il vous dédicace
une de ses photos.
L’église
Une immense bâtisse,
un peu m’as-tu-vu,
un peu ancien riche,
de plain-pied
(c’est une maison de vieux),
mais très haute de plafond,
agrémentée d’une sorte
de piano bastringue
– comme dans les saloons –
pour les vins d’honneur
et les thés dansants…
Mais sans chauffage
ni isolation,
avec de simples vitraux
et pleine de courants d’air
pour attraper foi.
Je cours les pince-fesses
pour le buffet,
et les églises
– les pince-foi –
pour l’hostie.
DIEU – CULTURISME
Ostentation
Ils s’affichent avec leur Dieu
comme pour le compromettre.
« Toute croyance rend insolent ; nouvellement acquise, elle avive les mauvais instincts […] Observez les néophytes en politique et surtout en religion, tous ceux qui ont réussi à intéresser Dieu à leurs combines, les convertis, les nouveaux riches de l’Absolu. Confrontez leur impertinence avec la modestie et les bonnes manières de ceux qui sont en train de perdre leur foi et leurs convictions… » (E. Cioran, Syllogismes de l’amertume, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
DIEU– CULTOURISME
Dieu, en descendant de l’autocar
Ah ! les Lourdauds !
les renifleurs de miracle !
les Bernadette-l’ermite !
Ça flâne le nez en l’air
parmi les effluves de sainteté,
ça fait du lèche-vitraux ;
ça marche dans la grotte
parce que ça porte bonheur.
Dieu n’a que faire de vos démonstrations de foi…
de vos leçons mal apprises…
Dieu vous connaît
comme s’il vous avait fait.
« La meilleure façon de gagner Dieu, c’est de bien faire ce que tu fais. Les gens qui s’occupent tout le temps de Lui me font penser à ces ouvriers qui demandent sans cesse audience au patron. Pendant ce temps-là, l’ouvrage ne se fait pas. » (L.-P. Fargue, Sous la lampe, Gallimard)
DIEU – LE CIEL PROMIS
« Ainsi, les derniers seront les premiers,
et les premiers seront les derniers… » (Matthieu 20 : 16)
Il n’y aurait donc,
pour l’immense majorité
qui tient le milieu,
rien de nouveau sur le soleil.
« Rares sont les jours où, projeté dans la post-histoire, je n’assiste pas à l’hilarité des dieux au sortir de l’épisode humain. Il faut bien une vision de rechange, quand celle du Jugement ne contente plus personne. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Mais qui a connu l’horreur
ici-bas
ne saurait goûter
les plaisirs célestes.
Il traînera son enfer
comme nous poursuit
le paradis perdu.
« Une jeune mère ayant perdu sa petite fille, éclata de rire au moment où l’on descendait le cercueil dans la tombe. Accès de folie ? Oui et non. Car lorsqu’on assiste à un enterrement, devant l’absolue duperie soudainement démasquée, n’a-t-on pas envie de réagir tout comme cette femme ? C’est trop fort, c’est presque de la provocation, la nature exagère. On conçoit qu’on puisse sombrer dans l’hilarité. (E. Cioran, Ecartèlement, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
« Dieu, s’il existe, il exagère. » (G. Brassens, Dieu, s’il existe)
Il y a çà et là
quelques justes,
si justes
que le paradis ne les mérite pas.
DIEU – AD VITAM AETERNAM
« Si j’étais immortel, j’inventerais la mort pour avoir du plaisir à vivre. » (J. Richepin, de l’Académie française)
Ils disent : « Éternité ».
J’entends : « Perpétuité ».
Je ne me ferai jamais
à la vie éternelle :
je suis claustrophobe.
Élargissement
Me permettrez-vous, saint Pierre,
qui m’avez condamné à la félicité éternelle,
me permettrez-vous
de solliciter de votre bienveillance
une modique remise de joie ?
« Dieu s’aigrit, il envie à l’homme sa mortalité. » (J. Rigaud, Écrits, Gallimard)
DIEU – REPENTIR
La bretelle de la foi
Pour rejoindre
le royaume des Bienheureux,
la brebis égarée
sur l’autoroute du Mal
ne doit pas rater la dernière sortie
avant le péage de l’Enfer.
« Si j’étais Dieu, je ne souffrirais pas les arrivistes du Ciel. » (G. Duhamel, Cécile parmi nous, Mercure de France)
Éternelle inquiétude
Depuis qu’en paradis
les portiers laissent entrer,
comme larrons en gloire,
les pécheurs repentis,
les honnêtes âmes
ne se sentent plus nulle part
en sécurité.
Péché mignon
« De même, je vous le dis,
il y aura plus de joie au ciel
pour un seul pécheur
qui vient à se repentir
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui n’ont pas besoin de repentance. » (Luc 15 :7)
Qui préfère au juste le repenti
n’irait-il pas
jusqu’à encourager le péché ?
« Dieu ne peut retrouver que ceux qui se sont perdus. » (F. Mauriac, La Vie de Racine, Plon)
DIEU – LA MAUVAISE NOUVELLE
« La Mort ! Terminus !
Tout le monde descend ! »
Et c’est là,
en demandant la direction
Porte du Paradis,
qu’on apprend
la mauvaise nouvelle :
on a été mal informé…
il n’y a pas de correspondance.
« Il tombe sous le sens que Dieu était une solution, et qu’on n’en trouvera jamais une aussi satisfaisante. » (E. Cioran, De l’inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)
Me croirez-vous
si je vous dis
qu’il ne faut pas
croire
?
« Bien que je ne croie pas à une vie future, j’emporterai quand même des sous-vêtements de rechange et un peu d’argent de poche. » (W. Allen, 1935-)
Ainsi Dieu,
insidieusement,
ainsi Dieu
ment.
DIEU – L’ÉTERNEL RETOUR
L’Éternel,
là-haut,
s’éternise.
« Il est temps que Dieu monte à la tribune, sinon il risque de ne pas repasser aux prochaines élections. » (Frédéric Dard, Pensées, Cherche-midi)
Dieu s’encroûte.
Dieu s’accroche à son
ça m’suffit,
à son petit confort bourgeois,
à son ciel toujours bleu
– douillettement enfoui
dans son nuage.
C’est la ouate qu’il préfère.
Pas trop tôt !
Il sera là, de bon matin,
dans le judas,
derrière l’apôtre !
Il frappera et je lui ouvrirai.
Sans se faire prier, il entrera.
« Mon Dieu,
ne faites pas attention
au désordre !
Pas lavée, pas habillée,
pas coiffée, pas maquillée…
Je ne suis pas digne
de vous recevoir ! »
Parousie
Pour le jour du grand Retour,
projet de discours
de réception :
« Mesdames, Mesdemoiselles,
Messie… »
DIEU – DÉRÉLICTION
Le Sauveur
s’est sauvé.
Après tant et tant d’années,
qui espère encore
un Dieu fourbu sur le retour ?
Dieu est mort.
Mort en couches.
DIEU – ÉPILOGUE
La retraite à 33 ans
Dieu le Père dit à son fils :
« Jésus, mon garçon,
tu ne peux pas demeurer
éternellement
les bras en croix ! …
Enlève tes écouteurs quand Dieu te parle !
Certes, tu as assuré jadis un petit intérim
– oui, une mission, si tu préfères –,
et tu attends toujours
tes indemnités de déplacement…
Mais à présent, il va falloir te secouer les épines,
te sortir les clous des pieds et des mains,
descendre de ton piédestal,
raser cette barbe hirsute,
cette chevelure extravagante,
et chercher un emploi stable :
fils de Dieu,
ce n’est pas une situation ! »
Et Jésus répondit :
« Dieu non plus ! »