DEUIL ÉCLATANT

« La gloire est le deuil éclatant du bonheur. » (Madame de Staël, Corinne ou l’Italie, Var.)

À propos de : Pensées éparses d’un rabat-joie.

(Abel Castel. Max Milo Éditions)

Interview recueillie par G. Portafaux (Le Réveil du Pas-de-Calais)*

G. P. – Ainsi, Abel Castel, vendredi prochain, à partir de 15 heures, l’Espace Culturel de Bailleul-aux-Cornailles aura le plaisir de vous accueillir pour une inoubliable séance de dédicaces.

A. C. – Tout le plaisir sera pour lui.

G. P.  – Comment ! Vous ne vous réjouissez pas de rencontrer vos lecteurs !?

A. C. – J’ai peur des gens : un rien m’effraie.

G. P. – Une dédicace, ça ne se refuse pas !

A. C. – Une dédicace ! Pourquoi pas un selfie tant que vous y êtes ! Mon vieil ami Honoré de Balzac m’a dit un jour : «  Mon très cher Abel, moi qui suis presque venu à bout de la Comédie Humaine, je vous avouerais que rien ne m’aura autant pesé que les séances de dédicaces à la FNAC ».

G. P. – Vous me présenterez ce Balzac, à l’occasion…

A. C. – Je suis persuadé que la perspective de signer des dédicaces a découragé bien des vocations d’écrivains – et parmi les meilleurs, à en juger par ceux qui restent.

G. P. – Ceux qui signent et persistent…

A. C. – Écoutez, j’ai déjà pondu péniblement 125 pages, pourquoi m’en imposer absolument une 126e qu’il me faudra écrire et réécrire pour chaque patient dans la file. Parce qu’il la veut personnalisée, sa dédicace, l’insatiable lecteur, une dédicace à son nom s’il vous plaît ! Et drôle avec ça, et tellement originale ! Avec des mots du dimanche, choisis rien que pour lui !

G. P. – Le chemin de la gloire est hérissé de poignées de mains, de dédicaces…

A. C. – J’ai toujours exécré les exercices imposés : les déclarations d’impôts, les condoléances aux mariés, les félicitations à la veuve…

G. P. – … Parsemé d’épreuves obligatoires : de photos, de radios, d’IRM… de plateaux de télévision avec des spectateurs ravis, des présentateurs joviaux…

A. C. – Vous voulez dire des présentatoirs !

G. P. – Vous, vous n’êtes pas près de vendre votre livre !

A. C. – Détrompez-vous, je l’ai déjà vendu ! … J’attaque le suivant.

G. P. – Vraiment ?

A. C. – À peine en vitrine, il est parti comme un petit pain.

G. P. – Vous avez écoulé un exemplaire ! Félicitations !…

A. C. – Hélas ! c’est ainsi que ma femme a su que je la trompais…

G. P. – Avouez que vous les enviez secrètement, ces estimés confrères qui vivent de leurs plumes…

A. C. – Comme les girls du Crazy Horse !

G. P. – Une dernière question, Abel Castel : pouvez-vous me dédicacer votre livre ? Je vous épelle mon nom…

 

 

* (Pierre Desproges, Les sept erreurs, Chroniques de la haine ordinaire)