POSTILLONS
Sketch en dialogue
Un client (C.). La postière (P.).
« J’ai vu la postière ; je la reverrai demain. » (Un usager de la Poste)
C. – Bonjour madame la postière ; j’ai bien envie de vous acheter un timbre…
P. – C’est pour emporter ?
C. – Euh ! non…
P. – Parce que nous avons un guichet automatique à l’extérieur, une sorte de drive…Vous êtes collectionneur, peut-être ?
C. – Euh ! non…
P. – Parce que nous sommes fiers de notre nouvelle collection printemps-été : la mode est aux couleurs crues, aux dents longues et pointues… C’est pour un anniversaire, une commémoration ?
C. – Euh ! non ; ce serait pour expédier.
P. – Parce que nous avons toutes sortes de timbres événementiels. Tenez, en ce moment, nous sortons un nouveau timbre à l’occasion de la sortie d’un nouveau timbre… Vous avez quelque chose contre le tabac ?
C. – Euh ! non ; je n’ai rien contre le tabac.
P. – Alors, permettez-moi de vous proposer le timbre anti-tabac.
C. – Un timbre anti-tabac dans un bureau de poste ?
P. – On trouve bien des timbres-poste dans les bureaux de tabac. Et des cachets dans les pharmacies ; des cachets et des tampons. Mais pour les timbres-poste, rien ne vaut la Poste !
C. – Justement, vous faites bien d’en parler…
P. (elle le coupe.) – Nos timbres sont cotés, leur réputation a fait le tour du monde ! C’est que nos Mariannes sont épanouies : elles ne sont pas élevées en batterie, mais en planche !
C. – Justement, j’aurais voulu un de vos excellents timbres-poste !
P. – Un timbre-poste ! parfait, nous allons voir ça !… C’est pour aller avec quoi ?
C. (hésitant.) – Avec… une enveloppe.
P. – Une enveloppe comment ?
C. – Une enveloppe blanche, rectangulaire…
P. – Classique en somme, sans fioriture. Et pour le timbre-poste, vous êtes fixé sur la forme, la couleur ?
C. – Pas vraiment. L’important, c’est qu’il présente bien, qu’il ait du cachet.
P. – J’en ai un en ce moment qui plaît beaucoup : un rouge, prioritaire…
C. – Comme le camion des pompiers…
P. – Sans la sirène.
C. – Mais avec le timbre.
P. – Je peux vous le proposer à quatre-vingts centimes d’euro… À ce prix-là, c’est une affaire !
C. – J’ai bien envie de me laisser tenter.
P. – Vous le prenez, mon timbre prioritaire ?
C. – Pas si vite, je ne suis pas pressé !
P. – Un euro et vingt centimes, s’il vous plaît.
C. – Un euro et vingt centimes ?… Je croyais que c’était quatre-vingts centimes d’euro…
P. – Plus vingt centimes pour les frais de dossier, et vingt centimes pour l’assurance.
C. – L’assurance pour la perte du courrier ?
P. – Non, pour la perte du timbre.
C. – Si je me fais braquer en sortant du bureau de poste ?
P. – Non, si le timbre se décolle de l’enveloppe.
C. – Ça peut arriver ?
P. – Oui, quand il prend l’avion, au décollage.
C. – Et le courrier, vous ne l’assurez pas ?
P. – Si, bien-sûr : un centime d’euro la lettre, pour une lettre ordinaire : une lettre lambda. Mais dix centimes s’il s’agit d’une lettre capitale et jusqu’à un euro pour une lettre d’or. Nous n’assurons pas les lettres de sang.
C. – Un centime d’euro la lettre, c’est une plaisanterie ! À la Poste, on est plus attaché à l’esprit qu’à la lettre !
P. – Vous n’y êtes pas : en fait, nous chiffrons toutes les lettres de chaque lettre.
C. – ???
P. – En clair, nous prenons en compte chaque mot de chaque lettre… mais aussi chaque lettre de chaque mot…
C. (impressionné.) – Qu’est-ce que vous avez comme formation à la Poste ?
P. – J’ai fait des études de lettres…
C. – Je comprends mieux !
P. – Après quoi, il nous suffit de faire une mise en facteur…
C. (coupant court.) – Vous auriez un autre timbre ?
P. – Si vous n’êtes pas pressé, j’ai le timbre vert : il est très joli, très doux.
C. – Il n’est pas prioritaire celui-là ?
P. – Non, il laisse toujours passer le timbre rouge. De plus, il ne prend jamais l’avion.
C. – Il est vert de peur ?
P. – Pas du tout !
C. – Il a le mal des transports ?
P. – Non, il est soucieux de l’environnement.
C. – Vous voulez dire qu’il ne voyage pas avec n’importe qui ?
P. – Au contraire, afin d’émettre moins de CO2, il préfère le train à l’avion – et en deuxième classe. Le timbre vert est vertueux.C. (admiratif.) – Un timbre exemplaire… Comme le patch cardiaque : le timbre qui a du cœur.
P. – Mais un timbre rare, étant donné sa faible émission.
C. – Forcément quand on mégote sur le carbone !
P. – Dépêchez-vous d’en profiter ! Alors, pour monsieur, ce sera un timbre vert ?
C. – Vous le faites à combien ?
P. – Soixante-dix centimes d’euro l’unité, mais si vous m’en achetez dix, je vous les propose à 7 €.
C. – Ça me semble intéressant.
P. – Si vous m’en prenez douze, je vous offre un carnet en sus !
P. – C’est toujours utile.
P. – Et si vous m’en prenez cent, tenez, je vous les fais au prix de gros, à 70 € – à saisir !
C. – Et pas de carnet ?
P. – Mieux que ça : un livret – le livret de la Poste – offert !
C. – C’est vraiment une offre exceptionnelle !
P. – Ça nous fera donc 70 € et…
C. – Ça nous fera ?… On partage ??
P. – Pas du tout, il a mal compris : c’est une façon de parler, ce n’est pas un geste commercial ! Vous payez par chèque postal ou par carte postale ?
C. (coupant court.) – Vous n’auriez pas un timbre qui n’aime pas le train ?
P. – Vous voulez parler du cyclopli, le timbre recyclé ?
C. – Le timbre recyclé ?
P. – De l’expéditeur au destinataire, le courrier est acheminé par un facteur à bicyclette.
C. – Et pour les délais de livraison ?
P. – C’est un facteur indépendant de notre volonté…
C. – C’est-à-dire ?
P. – Le cyclopli n’aime pas les côtes… Comme le facteur, mais il a une bonne descente.
C. – Le timbre ?
P. – Non, le facteur : déformation professionnelle…
C. – Ah oui ! La tournée du facteur !
P. – Et tout cela pour un prix très avantageux : 68 centimes d’euro l’unité !
C. – Ça m’intéresse ! Vous m’en déballez un ?
P. (embarrassée.) – C’est-à-dire que… si vous n’achetez pas…
C. – Comprenez-moi : j’aimerais voir avant d’acheter. Je veux être sûr de ne pas me tromper.
P. – Si vous n’êtes pas satisfait de votre achat, vous pouvez toujours vous faire rembourser.
C. (intéressé.) – Ah bon ?
P. – Il vous suffit de retourner le timbre non oblitéré et souriant de toutes ses dents au service consommateurs de la Poste dans une enveloppe correctement affranchie.
C. (déçu.) – Ah !
P. – Bien sûr, en joignant un timbre pour la réponse…
C. – Allez, s’il vous plaît, laissez-moi jeter un œil sur ce cyclope !
P. – Je vais faire une exception… (Elle lui présente le timbre.) Mais ça reste entre nous.
C. – Mais il fait grise mine, votre cyclo…thymique !
P. – Normal : il est gris. À ce prix-là, vous n’espériez tout de même pas la couleur !
C. – Il est vraiment sinistre : on dirait un timbre fiscal !
(Fin de l’extrait – pages 1-6/8)
Abel Castel
Août 2016