Où je pense (I)

 

(EXTRAITS)

 

À qui voudra

 

 

 

 

Pour mieux dire au lecteur sa façon de penser,

l’auteur a ajouté quelques citations en regard de ses aphorismes.

 

AVERTISSEMENT

 

 

 

 

Attention !

Le texte est profond

par endroits.

 

 

 

LE TRAVAIL

LE TRAVAIL – OBLIGATION CIVILES

 

 

 

Le travail,

le travail forcé :

une peine incompressible

– mais extensible –

de quarante années

pour payer sa dette

à la société.

 

 

 

« Le propre du travail, c’est d’être forcé. » (Alain, les Arts et les Dieux, Gallimard)    

 

 

 

Traqué par les chasseurs de têtes

Il y a un contrat sur vous :

un contrat à durée

indéterminée…

Je n’aimerais pas

être à votre place.

 

 

 

 

LE TRAVAIL – DÉPENDANCE

 

 

 

Il est passé aux drogues dures :

il a sombré

dans le travail.

 

 

 

« Le boulot, c’est un truc qu’y vaut mieux commencer jeune. Quand tu démarres tout môme, c’est comme si t’étais né infirme : tu prends le pli, t’y penses plus. Remarque que t’as peut-être raison d’essayer. De toute façon, dans la vie, faut tout connaître ! » (M. Audiard, Mélodie en sous-sol, M. Biraud, Audiard par Audiard, Édit. René Chateau)

 

Tripalium

Ça commence véniellement

par de l’intérim, du saisonnier,

un job qu’on prend par-ci par-là

pour faire comme les copains…

Puis on s’accoutume,

on y prend goût,

on augmente les doses,

– dangereusement –

jusqu’à l’ultime, jusqu’au terrible CDI !

Mais gare au manque

le jour où le dealer

cesse de vous approvisionner !

 

« Le travail est quelque chose de semblable à la mort. C’est une soumission à la matière. » (S. Weil, La connaissance surnaturelle, Gallimard)

 

 

 

Vie libre

Aux Travailleurs anonymes,

on ne se résigne pas :

on sait que la guérison est possible,

que licenciement et chômage

ne sont pas folles chimères.

 

 

 

« A cet ami qui me dit s’ennuyer parce qu’il ne peut pas travailler, je réponds que l’ennui est un état supérieur, et que c’est le rabaisser que de le mettre en rapport avec l’idée de travail. » (E. Cioran, Écartèlement, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

 

LE TRAVAIL – L’OCCUPANT

 

 

 

Travailler !

Se rendre utile…

L’ignoble capitulation !

 

 

 

« Être un homme utile m’a toujours paru quelque chose de bien hideux. »  (Ch. Baudelaire, Mon cœur mis à nu) 

 

 

 

« Arbeit mach besetzt »

Sous l’Occupation,

le travail était obligatoire.

Ceux qui n’avaient pas

d’occupation,

on les appelait

« les Français libres ».

 

 

 

Congé annuel

Rituellement,

le premier mai de chaque année,

la travailleuse et le travailleur

posent la faucille

et le marteau,

pour s’en aller batifoler

par les champs

et par les usines.

 

 

 

 

LE TRAVAIL – HARCÈLEMENT

 

 

 

Le salaire de la peur

Ça s’est passé

comme je vous le dis,

monsieur le juge :

l’accusé,

avec ses airs de saint patron,

m’a entraînée dans son bureau.

Là, sans préliminaires,

il s’est mis à examiner

mon curriculum vitae

sous toutes les coutures :

j’étais gênée.

Puis le rustre a prononcé

des mots obscènes

que j’ose à peine vous répéter :

« horaire », « cadence »,

« rendement » …

Enfin, perdant tout contrôle,

il m’a proposé la Chose !

J’ai voulu m’enfuir,

le butor a tenté de me retenir,

lâchant,

comme un baroud d’horreur,

un ultime gros mot :

« salaire » !

 

 

 

« Tirer de soi toute la mouture qu’on en peut tirer, voilà ce qui devient la règle du monde. L’idée que le noble est celui qui ne gagne pas d’argent, et que toute exploitation commerciale ou industrielle, quelque honnête qu’elle soit, ravale celui qui l’exerce et l’empêche d’être du premier cercle humain, cette idée s’en va de jour en jour. Voilà ce que produit une différence de quarante ans dans les choses humaines. Tout ce que j’ai fait autrefois paraîtrait maintenant acte de folie, et parfois, en regardant autour de moi, je crois vivre dans un monde que je ne reconnais plus. » (Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Calmann-Lévy) 

 

 

 

 

LE TRAVAIL – SITUATIONS

 

 

 

« Pour entrevoir l’essentiel, il ne faut exercer aucun métier. Rester toute la journée allongé, et gémir… » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

Ils arborent leur profession

comme un insigne honneur,

une rosette à la boutonnière.

Pour moi,

le travail fera toujours tâche.

 

 

 

Incorruptible

Travailler, moi ?

Pour rien au monde !

Pas même

pour de l’argent.

 

 

 

« Le renoncement est la seule variété d’action qui ne soit pas avilissante. »  (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)   

 

 

 

Moi, je suis

intermittent du commerce :

vendeur de muguet du 1er mai.

En activité

le jour de la fête du travail,

au chômage partiel

le reste de l’année.

 

 

 

Il y en a

qui sont prêts à travailler,

à accepter n’importe quoi

pour vivre.

Moi, par chance,

je peux très bien me passer

de vivre.

 

 

 

« Je ne fais rien, c’est entendu, mais je vois les heure passer — ce qui vaut mieux que d’essayer de les remplir. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard) 

 

 

 

 

LE TRAVAIL – HAUTS ET BAS

 

 

 

L’ascenseur social

est resté bloqué.

Ceux du dernier étage

ont oublié de le renvoyer.

 

 

 

Dévissage social

Quand ils l’ont licencié,

ils lui ont dit :

« Nous sommes sûrs

que vous allez rebondir ! »

Il n’a pas rebondi ;

il s’est écrasé

– salement –

 cinquante étages plus bas :

un gratte-sol

au pied du gratte-ciel.

Ça n’est vraiment pas beau à voir,

une compression de personnel.

 

 

 

 

LE TRAVAIL – RÉSISTANCE ET COLLABORATION

 

 

 

Ils ont pris leur retraite,

les syndicats,

plié banderoles,

rangé braseros et mégaphones

– une retraite bien méritée –,

trouvé, sous les pavés, la plage :

la grève illimitée.

Il n’en reste qu’un en activité,

il porte bien son nom :

le syndicat d’initiative.

 

 

 

« À peine au sortir de l’enfance, et même un peu avant, il avait mis en pratique ses théories sur la méprisabilité du travail (…) La manifestation de ces farouches révolutionnaires qui réclamaient huit heures de travail par jour lui arracha de doux sourires, et il félicita de tout son cœur les gardiens de la paix (sic) qui assommèrent ces formidables idiots. » (A. Allais, À se tordre, Anthumes I)

 

 

 

Au sein de nos entreprises,

il faudrait

moins de collaborateurs,

et plus de résistants !   

 

 

 

 

LE TRAVAIL – DÉLIVRANCE

 

 

 

Abolir la prostitution :

le beau, le noble,

l’ambitieux projet !

Pour faire cesser

l’avilissant commerce.

Pour en finir avec le travail.

 

 

 

Rouge occupé

Pourquoi cette banderole :

« Usine occupée » ?

L’usine, avant, elle était libre ?

 

 

 

Ce n’est pas l’usine

qu’il faut occuper,

c’est le travailleur

qu’il faut libérer.

 

 

 

« Une étrange folie possède la classe ouvrière des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion furibonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. » (P. Lafargue, Le Droit à la paresse, Réfutation du droit au travail de 1848, Oriol)

 

 

 

Ce matin,

les Travailleuses ont claqué

la porte de l’usine.

Elles ont plaqué le Travail

comme un mari abusif,

et repris leur nom de Jeune Fille.

 

 

 

« Les pauvres croient […] que le travail ennoblit, libère. La noblesse d’un mineur au fond de son puits (…) les frappe d’admiration. « Moi, je travaille », déclarent-ils, avec une fierté douloureuse et lamentable. La qualité de bête de somme semble, à leurs yeux, rapprocher de l’idéal humain. Il ne faudrait pas aller leur dire que le travail n’ennoblit pas et ne libère point ; que l’être qui s’étiquette Travailleur restreint, par ce fait même, ses facultés et ses aspirations d’homme ; que, pour punir les voleurs et autres malfaiteurs et les forcer à rentrer en eux-mêmes, on les condamne au travail, on fait d’eux des ouvriers. » (Georges Darien, La Belle France, Stock 1901)

 

 

 

 

LE TRAVAIL – DÉLOCALISATION

 

 

 

Je serais curieux de savoir

si le paradis ressemble

à la Côte d’Azur :

avec du soleil, des caniches

et des retraités…

Ou s’il y a, comme ici-bas,

« pour faire tourner

la boutique »,

des travailleurs

et des travailleuses,

des heures supplémentaires,

des cadences célestes.

 

 

 

 

LE TRAVAIL – ÉPILOGUE

 

 

 

Ramenons le travail

à ce qu’il n’aurait jamais dû

cesser d’être :

un loisir.

 

 

 

« Dans toute l’Antiquité indo-européenne, la hiérarchie des castes (prêtres, guerriers, agriculteurs ou éleveurs) avait laissé le travail à une place subalterne. Platon nourrissait même pour lui une sorte de mépris aristocratique, et Aristote déclarait : « La cité organisée appartient à ceux qui ne travaillent pas nécessairement pour vivre. » (Raymond Abellio, Les Militants, Gallimard)

 

 

 

 

 

 

DIEU

 

 

 

 

DIEU ?

 

 

 

Dieu !

Voilà un emploi fictif !

 

 

 

Comment dites-vous ?

Dieu ??…

Non, vraiment,

ce nom ne me dit rien.

 

 

 

Dieu ?

Oui, peut-être ?…

Pourquoi pas ?…

Mais je n’en mettrais pas

ma main à clouer !

 

 

 

Dieu n’existe pas.

Tout l’affirme.

Tout le crie et le clame

et le hurle !

Mais Dieu se fout de tout…

 

 

 

 

DIEU – GÉOLOCALISATION

 

 

 

Dieu sait où est Dieu !?

 

 

 

Où l’avez-vous trouvé,

votre Dieu,

perché sur son nuage

– comme le Christ sur la croix –,

au décrochez-moi-ça ?

 

 

 

Moi, je saurai contraindre Dieu

à se révéler :

je lui recommanderai mon âme

avec accusé de réception.

 

 

 

« Si seulement Dieu voulait m’adresser un signe de son existence… S’il me déposait un bon paquet de fric dans une banque suisse, par exemple ! » (Woody Allen, Dieu, Shakespeare et Moi, Solar, Points)                         

 

 

 

 

DIEU – L’HOMME EN BLANC

 

 

 

Bien dire

et laisser mal faire

Dieu est un arbitre

qui ne siffle jamais.

 

 

 

Pâle figure

Dieu est fade

comme une image,

inodore comme un pet d’enfant de chœur.

Dieu est fade

comme une hostie.

 

 

 

« On a beaucoup parlé de la face de Dieu, jamais de son profil. » (J.-C. Brisville, Inédit)

 

 

 

 

DIEU – L’ÉTRANGER

 

 

 

Le Seigneur n’est pas avec nous…

                                                                                                                 … Il est de l’autre côté.

 

 

 

Dieu n’a pas les pieds sur terre.

 

 

 

Mon Dieu,

passé l’état de grâce,

nous sommes devenus peu à peu

étrangers

l’un aux autres.

 

 

 

 

DIEU – LE RESPONSABLE

 

 

 

S’il y en a bien un

qui est parti de Rien…

 

 

 

Dieu n’est plus crédible.

Sa créature ayant failli,

il aurait dû se démettre :

« J’assume pleinement

la responsabilité de cet échec

et j’en tire les conclusions

en me retirant de la vie céleste. »

Mais trop vieux, le Dieu,

pour quitter son poste

haut placé,

renoncer à son logement de fonction,

à sa domesticité,

déchoir,

tomber des nues.

 

 

 

Les rois déchus,

les dieux devaient suivre.

 

 

 

 

DIEU – LES ESPRITS FAIBLES

 

 

 

« Dieu ne nous remplit qu’autant que nous sommes vides. » (H. de Montherlant, Port-Royal, Gallimard)

 

 

 

D’abord le paralytique,

puis tous,

les uns après les autres,

il les a fait marcher.

 

 

 

Que Dieu nous préserve de la foi !

 

 

 

« Peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croie pas en lui. » (A. Camus, La Peste, Gallimard)

 

 

 

Mon Dieu,

pour vos beaux cieux,

on se damnerait.

 

 

 

Louons le Seigneur…

puisqu’on ne peut l’acheter.

 

 

 

« L’amour ou la haine que nous lui portons [à Dieu] révèle moins la qualité de nos inquiétudes que la grossièreté de notre cynisme. » (E. Cioran, La Tentation d’exister, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

Le Pari de Pascal

On ne croit pas en Dieu :

on mise sur Dieu.

On le voit à l’arrivée.

 

 

 

« Dieu est ou il n’est pas. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer […]Dès lors, supposons que nous ayons parié pour l’existence de Dieu. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. » (Pascal, Pensées)

 

 

 

Le pari de Mme de Boufflers (1725-1800)

« Ci-gît dans une paix profonde,                                                                                                                                                                                      Une dame de volupté                                                                                                                                                                                                          Qui, pour plus de sécurité,                                                                                                                                                                                                    Fit son paradis en ce monde. »

 

 

 

 

DIEU – LES ESPRITS FORTS

 

 

 

« Il n’acceptait pas de vivre à la remorque de Dieu. » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)                                                                                                                                                 

 

Athée je suis,

par la grâce de Dieu.

 

 

 

« Au fond, Dieu veut que l’homme désobéisse. Désobéir, c’est chercher. » (V. Hugo, Tas de pierres, Édit. Milieu du monde) 

 

 

 

Mon Dieu !

je ne demanderais qu’à croire ! …

Mais parmi tous ces Dieux,

lequel est le Bon Dieu ?

 

 

 

« Est-il concevable d’adhérer à une religion fondée par un autre ? » (E. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

J’ai écouté religieusement

tous les prêchi-prêcheurs,

les meilleurs apôtres…

Et toujours j’attends

la Révélation.

Peut-être,

une autre

foi ?

 

 

 

« Il n’est rien de plus grand que l’homme sans Dieu qui, seul, sans espoir de « compensation » ni de récompense, se maintient l’esprit juste et le cœur pur. » (C. Aveline, Avec toi-même, Mercure de France)

 

 

 

« Je n’ai jamais tué, jamais violé non plus,                                                                                                                                                                          Y a déjà quelque temps que je ne vole plus,                                                                                                                                                                        Si l’Eternel existe, en fin de compte, il voit                                                                                                                                                                    Qu’je m’conduis guèr’ plus mal que si j’avais la foi. »                                                                                                                                                      (G. Brassens, Le Mécréant)

 

 

 

 

DIEU – PASSIONNÉMENT                                                                                                                                        

 

 

 

C’est ma foi, c’est ma foi,

c’est ma très grande foi.

 

 

 

 « Crucifils »

Christ n’est pas mort en Golgotha

pour sauver les hommes,

mais pour leur montrer le chemin

de croix.

A souffert l’homme en croix,

souffrira l’homme qui croit.

 

 

 

Jésus parmi les seins    

Jésus mort sur la croix,

Jésus, sur toi, repose,

les pieds à ton nombril,

la tête entre tes seins.

Vos tétons sont des clous.

 

 

 

Cette parole au Christ en croix

Jésus, aime-moi !

Jésus, prends-moi

dans tes bras.

Jésus, laisse-moi

me pendre à ton clou.

 

 

 

 

DIEU – À LA FOLIE

 

 

 

Plus on est de fous,

plus on prie.

 

 

 

Il y a cent fois moins à craindre

d’un homme de peu de foi

que d’un homme de trop de foi.

 

 

 

« Rien n’est plus dangereux qu’une idée, quand on n’a qu’une idée. » (Alain, Propos sur la religion, P.U.F.)    

 

 

 

Un barbu, c’est un barbu.

Trois barbus,

c’est une révolution !

 

 

 

« Un barbu c’est un barbu. Trois barbus, c’est des barbouzes ! » (M. Audiard, Les Barbouzes, L. Ventura, Audiard par Audiard, Édit. René Chateau)

 

 

 

La parole

qui fanatise les foules :

« Vous l’emporterez au paradis ! »

 

 

 

« Quand Dieu se tait, on peut lui faire dire ce qu’on veut. » (J.-P. Sartre, Le Diable et le Bon Dieu, Gallimard)

 

 

 

 

DIEU – COUPS DE PIED AU CULTE

 

 

 

Achat – vente – location

Préférant devenir riche

comme Crésus,

plutôt que pauvre comme Job,

Judas a vendu le Christ qui,

pour une bouchée de pain bénit,

avait racheté les hommes ;

lesquels, depuis, louent

– modérément – le Seigneur.

 

 

 

Je ne l’ai jamais emprunté,

le fameux chemin de croix,

mais ce que je crois savoir,

c’est que le dénommé Jésus-Christ

a dû faire treize stations

avant d’en trouver une ouverte.

 

 

 

Parmi les pipoles,

il y a des gens simples, disponibles,

proches de leur public ;

et d’autres hautains,

condescendants…

Tenez, le Christ sur sa croix,

n’espérez pas qu’il vous dédicace

une de ses photos.

 

 

 

L’église

Une immense bâtisse,

un peu m’as-tu-vu,

un peu ancien riche,

de plain-pied

(c’est une maison de vieux),

mais très haute de plafond,

agrémentée d’une sorte

de piano bastringue

– comme dans les saloons –

pour les vins d’honneur

et les thés dansants…

Mais sans chauffage

ni isolation,

avec de simples vitraux

et pleine de courants d’air

pour attraper foi.

 

 

 

Je cours les pince-fesses

pour le buffet,

et les églises

– les pince-foi –

pour l’hostie.

 

 

 

 

DIEU – CULTURISME  

 

 

 

Ostentation

Ils s’affichent avec leur Dieu

comme pour le compromettre.

 

 

 

« Toute croyance rend insolent ; nouvellement acquise, elle avive les mauvais instincts […] Observez les néophytes en politique et surtout en religion, tous ceux qui ont réussi à intéresser Dieu à leurs combines, les convertis, les nouveaux riches de l’Absolu. Confrontez leur impertinence avec la modestie et les bonnes manières de ceux qui sont en train de perdre leur foi et leurs convictions… » (E. Cioran, Syllogismes de l’amertume, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

 

DIEU CULTOURISME

 

 

 

Dieu, en descendant de l’autocar

Ah ! les Lourdauds !

les renifleurs de miracle !

les Bernadette-l’ermite !

Ça flâne le nez en l’air

parmi les effluves de sainteté,

ça fait du lèche-vitraux ;

ça marche dans la grotte

parce que ça porte bonheur.

 

 

 

Dieu n’a que faire de vos démonstrations de foi…

de vos leçons mal apprises…

Dieu vous connaît

comme s’il vous avait fait.

 

 

 

« La meilleure façon de gagner Dieu, c’est de bien faire ce que tu fais. Les gens qui s’occupent tout le temps de Lui me font penser à ces ouvriers qui demandent sans cesse audience au patron. Pendant ce temps-là, l’ouvrage ne se fait pas. » (L.-P. Fargue, Sous la lampe, Gallimard)

 

 

 

 

DIEU – LE CIEL PROMIS

 

 

 

« Ainsi, les derniers seront les premiers,

et les premiers seront les derniers… » (Matthieu 20 : 16)

Il n’y aurait donc,

pour l’immense majorité

qui tient le milieu,

rien de nouveau sur le soleil.

 

 

 

« Rares sont les jours où, projeté dans la post-histoire, je n’assiste pas à l’hilarité des dieux au sortir de l’épisode humain. Il faut bien une vision de rechange, quand celle du Jugement ne contente plus personne. » (E. Cioran, De l’Inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

Mais qui a connu l’horreur

ici-bas

ne saurait goûter

les plaisirs célestes.

Il traînera son enfer

comme nous poursuit

le paradis perdu.

 

 

 

« Une jeune mère ayant perdu sa petite fille, éclata de rire au moment où l’on descendait le cercueil dans la tombe. Accès de folie ? Oui et non. Car lorsqu’on assiste à un enterrement, devant l’absolue duperie soudainement démasquée, n’a-t-on pas envie de réagir tout comme cette femme ? C’est trop fort, c’est presque de la provocation, la nature exagère. On conçoit qu’on puisse sombrer dans l’hilarité. (E. Cioran, Ecartèlement, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

« Dieu, s’il existe, il exagère. » (G. Brassens, Dieu, s’il existe)

 

 

 

Il y a çà et là

quelques justes,

si justes

que le paradis ne les mérite pas.

 

 

 

 

DIEU – AD VITAM AETERNAM                                                                                                                                     

 

 

 

« Si j’étais immortel, j’inventerais la mort pour avoir du plaisir à vivre. » (J. Richepin, de l’Académie française)

 

 

 

Ils disent : « Éternité ».
J’entends : « Perpétuité ».

 

 

 

Je ne me ferai jamais

à la vie éternelle :

je suis claustrophobe.

 

 

 

Élargissement 

Me permettrez-vous, saint Pierre,

qui m’avez condamné à la félicité éternelle,

me permettrez-vous

de solliciter de votre bienveillance

une modique remise de joie ?

 

 

 

« Dieu s’aigrit, il envie à l’homme sa mortalité. » (J. Rigaud, Écrits, Gallimard)

 

 

 

 

DIEU – REPENTIR

 

 

 

La bretelle de la foi

Pour rejoindre

le royaume des Bienheureux,

la brebis égarée

sur l’autoroute du Mal

ne doit pas rater la dernière sortie

avant le péage de l’Enfer.

 

 

 

« Si j’étais Dieu, je ne souffrirais pas les arrivistes du Ciel. » (G. Duhamel, Cécile parmi nous, Mercure de France)

 

 

 

Éternelle inquiétude

Depuis qu’en paradis

les portiers laissent entrer,

comme larrons en gloire,

les pécheurs repentis,

les honnêtes âmes

ne se sentent plus nulle part

en sécurité.

 

 

 

Péché mignon

« De même, je vous le dis,

il y aura plus de joie au ciel

pour un seul pécheur

qui vient à se repentir

que pour quatre-vingt-dix-neuf justes

qui n’ont pas besoin de repentance. » (Luc 15 :7)

Qui préfère au juste le repenti

n’irait-il pas

jusqu’à encourager le péché ?

 

 

 

« Dieu ne peut retrouver que ceux qui se sont perdus. » (F. Mauriac, La Vie de Racine, Plon)

 

 

 

 

DIEU – LA MAUVAISE NOUVELLE

 

 

 

« La Mort ! Terminus !

Tout le monde descend ! »

Et c’est là,

en demandant la direction

Porte du Paradis,

qu’on apprend

la mauvaise nouvelle :

on a été mal informé…

il n’y a pas de correspondance.

 

 

 

« Il tombe sous le sens que Dieu était une solution, et qu’on n’en trouvera jamais une aussi satisfaisante. » (E. Cioran, De l’inconvénient d’être né, Œuvres, coll. Quarto, Gallimard)

 

 

 

Me croirez-vous

si je vous dis

qu’il ne faut pas

croire

?

 

 

 

« Bien que je ne croie pas à une vie future, j’emporterai quand même des sous-vêtements de rechange et un peu d’argent de poche. » (W. Allen, 1935-)

 

 

 

Ainsi Dieu,

insidieusement,

ainsi Dieu

ment.

 

 

 

 

DIEU – L’ÉTERNEL RETOUR

 

 

 

L’Éternel,

là-haut,

s’éternise.

 

« Il est temps que Dieu monte à la tribune, sinon il risque de ne pas repasser aux prochaines élections. » (Frédéric Dard, Pensées, Cherche-midi)

 

 

 

Dieu s’encroûte.

Dieu s’accroche à son

ça m’suffit,

à son petit confort bourgeois,

à son ciel toujours bleu

– douillettement enfoui

dans son nuage.

C’est la ouate qu’il préfère.

 

 

 

Pas trop tôt !

Il sera là, de bon matin,

dans le judas,

derrière l’apôtre !

Il frappera et je lui ouvrirai.

Sans se faire prier, il entrera.

« Mon Dieu,

ne faites pas attention

au désordre !

Pas lavée, pas habillée,

pas coiffée, pas maquillée…

Je ne suis pas digne

de vous recevoir ! »

 

 

 

Parousie

Pour le jour du grand Retour,

projet de discours

de réception :

« Mesdames, Mesdemoiselles,

Messie… »

 

 

 

 

DIEU – DÉRÉLICTION

 

 

 

Le Sauveur

s’est sauvé.

 

 

 

Après tant et tant d’années,

qui espère encore

un Dieu fourbu sur le retour ?

 

 

 

Dieu est mort.
Mort en couches.

 

 

 

 

DIEU ÉPILOGUE

 

 

 

La retraite à 33 ans

 

Dieu le Père dit à son fils :

« Jésus, mon garçon,

tu ne peux pas demeurer

éternellement

les bras en croix ! …

Enlève tes écouteurs quand Dieu te parle !

Certes, tu as assuré jadis un petit intérim

– oui, une mission, si tu préfères –,

et tu attends toujours

tes indemnités de déplacement…

Mais à présent, il va falloir te secouer les épines,

te sortir les clous des pieds et des mains,

descendre de ton piédestal,

raser cette barbe hirsute,

cette chevelure extravagante,

et chercher un emploi stable :

fils de Dieu,

ce n’est pas une situation ! »

Et Jésus répondit :

« Dieu non plus ! »